Les souvenirs de Jean Luc

5 avril
Une nouvelle semaine commence et, comme d’habitude, je me retrouve
ce matin-là plume et feuille blanche à la main; pourtant ce sont les vacances pascales, et, " vacances, j’oublie tout, plus rien à faire du tout ", comme dit
la chanson. Mais voilà, notre maître et vénéré baboudji, Christian, nous a hier au soir énoncé au beau milieu d’érudites explications sur le Durbar Square 
de Katmandou son premier précepte : "de deux journées
de voyage, le reportage
tu feras ", et paf, aujourd’hui, sans doute le jour le plus riche
en visites et informations - c’est moi qui m’y colle, moi, son unique disciple masculin, entouré de cinq autres adeptes - elles, joliment féminines - de la secte de ceux qui voyagent au Népal avec Christiandji. Et je ronchonne un peu intérieurement, comme s’il n’y avait
pas autre chose à faire en cette journée ensoleillée que rester attentif
aux explications de Lalit, le guide fort sympathique qui supporte notre petite compagnie de touristes, un peu réduite après la défection de Christian
et Bernadette, partis chacun de leur côté à travers la ville vaquer
à des occupations moins frivoles. Je fais cependant contre mauvaise fortune bon cœur et récupère à droite (merci Pascale) un stylo, un feuillet de carnet à gauche (danyabad Anne) et m’abandonne au spectacle de la rue sur lequel s’écarquillent nos six paires d’yeux à travers les vitres du minibus que Trinetra Adventure a mis à notre disposition. Nous traversons, dans le concert apparemment habituel de klaxons, cris, pétarades et meuglements sacrés,
la capitale népalaise et atteignons, à l’est de la ville, le fameux sanctuaire
de Pashupatinath, l’un des plus sacrés du Népal, datant de la fin du XVIIIème siècle et dédié au dieu Shiva sous sa forme la plus paisible,
celle de Pashupati, le gardien du troupeau. Là, nous quittons notre sas douillet et plongeons en immersion profonde dans un monde coloré
et odorant, celui dans lequel baignent, entre autres, les marchands d’offrandes entourant le temple au triple toit doré, dont l’accès n’est permis qu’aux seuls hindous. S’étendant sur les rives du Bagmati, il a pour principale fonction d’offrir un lieu de repos aux mourants. On les étend généralement, nous explique Lalit, de manière que leurs pieds baignent dans le fleuve,
et, une fois morts, leur âme sera libérée tandis que leur dépouille
est incinérée sur la rive. En dépit des activités incessantes qui se déroulent au bord de l’eau et autour des bâtiments, Pashupatinath dégage une atmosphère de paix
et de tranquillité dès que l’on emprunte l’un des deux ponts enjambant la rivière, bien asséchée à cette époque. Avant de la traverser, on remarque,
à gauche, les ghat, ces terrasses réservées
aux crémations des membres de la famille royale.
Celles qui se trouvent sur la droite sont utilisées
par les autres castes de la société et restent aussi
des lieux privilégiés de bain rituel. Puis un escalier mène à une colline boisée. Nous y croisons quelques sadhu, ces sages ascétiques aux longs cheveux presque tressés, qui s’offrent pour quelques roupies népalaises à exécuter l’exploit pour lequel ils sont célèbres auprès des touristes : la levée d’un caillou de poids par la seule force de leur pénis. Délaissant ce numéro de music-hall, nous poursuivons
la découverte du site en rejoignant une série de petits temples
et de sculptures d’origine bouddhique. En effet, onze chaitya identiques
et alignés dans une mise en abîme assez impressionnante se dressent ainsi juste en face du sanctuaire principal, chacun d’eux renfermant un lingam,
ce cercle qui emprisonne un phallus et qui reste la forme principale sous laquelle Shiva, divinité de la fécondité, est honoré à Pashupatinath.
Tous les temples, petits ou grands, qui lui sont dédiés sont d’ailleurs défendus par une statue de taureau, Nandi, celui qui sert de monture
et qui est, lui aussi, considéré comme un ancien symbole de fécondité.
Une longue volée de marches pavées nous mène ensuite, escortés de singes, au milieu d’un bois clairsemé et disséminant sur une vaste plate forme
des petits édifices dédiés pour la majorité à Shiva, mais aussi, pour quelques uns à Hanuman, le roi des singes dont l’armée fut, un jour, mise au service
de Shiva, voire à Ganesh, le fils-éléphant de ce même Shiva.
Nous redescendons enfin la colline et atteignons le sanctuaire de Guyeshwari, plus connu, nous dit Lalit, sous le nom du " temple de la fesse ".
Devant notre intérêt amusé à cette étrange appellation, il nous explique encore que, selon la tradition, là a été recueilli un morceau de la fesse
de la femme de Shiva. En effet, inconsolable à la mort de celle-ci, le dieu aurait décidé d’accomplir en volant un tour du monde en emportant avec lui
sa dulcinée en décomposition. Le temple marquerait alors le lieu de la chute
du postérieur sacré de la dame. Là aussi, l’accès est interdit
aux non-hindous. Nous terminons la visite en traversant à nouveau le quartier des vendeurs d’offrandes et en savourant l’atmosphère particulière
de ces rues népalaises où des gens aux vêtements variés et colorés s’affairent entre vaches sacrées et véhicules klaxonnants. La relative fraîcheur d’un restaurant en étages donnant sur la grande place centrale
est bienvenue : tout en dégustant des mo-mo, sortes de raviolis tibétains fourrés à la viande ou aux légumes et plutôt assaisonnés, nous provoquons Lalit pour quelques explications supplémentaires sur l’hindouisme
et le bouddhisme, tels qu’il nousles a présentés tout au long de nos multiples visites aux temples, à travers des formules un peu trop laconiques à notre goût, du type : " pour les bouddhistes, tout est relatif ", ou " la religion commence là où la logique se termine ".
Il se prête avec sourire mais aussi retenue à ce petit interrogatoire, puis nous emmène vers le quartier des potiers. Par un nouveau dédale de ruelles et De volées de marches, nous débouchons dans un endroit surprenant :
une assez grande place où des milliers de pots sèchent, sagement posés
les uns à côté des autres. D’énormes et nombreuses roues en pierre
sur lesquelles les potiers tournent leur production, installées tout autour
de l’esplanade, sont régulièrement relancées par deux solides baguettes
de bois tenues en mains et font bien sûr les délices des touristes
et des pellicules photographiques. Sur un des côtés du marché se dresse
une énième pagode à double toit que préside Ganesh, le patron de cette corporation. Le calme du minibus nous attend sous une chaleur un peu assommante. C’est donc dans une demi-torpeur que nous parcourons
la vingtaine de kilomètres qui nous sépare de notre prochaine étape,
la ville médiévale de Bhaktapur, située dans la partie orientale de la vallée
de Kathmandou. Une longue allée ombragée et occupée par des vendeurs
de toutes sortes conduit en pente douce au Durbar Square qui, contrairement à celui de la capitale, ne constitue pas le centre ville proprement dit. Il se trouve plus au nord et n’est relié que par de petites ruelles au Taumadhi Thol, la grande place  centrale. A peine avons-nous pénétré sur ce Durbar Square par la porte royale que s’impose une impression d’espace par comparaison avec la densité des monuments de la place royale de Kathmandou parcourue la veille, à la faveur de notre première promenade nocturne.Lalit nous explique 
que ce Durbar Square n’est plus qu’un pâle reflet de ce qu’il était autrefois, car beaucoup
de ses édifices se sont effondrés au cours
du tremblement de terre de 1934 et d’autres ont été fortement endommagés par celui de 1988. Cependant des travaux de restauration, visibles un peu partout, ont été entrepris, et certains grâce à une aide financière du gouvernement allemand et même
de la poche personnelle de l’ancien chancelier Helmut Khol. Ainsi, ce qui reste de l’ancien palais royal,
le palais aux 55 fenêtres, date de la fin du XVIème siècle et du début du XVII
ème.
Nous franchissons ensuite la Porte d’Or, érigée, elle, au milieu du XVIIIème et considérée comme un chef d’oeuvre artistique de la vallée : toute de cuivre doré, elle comporte
une profusion d’ornements et les panneaux l’encadrant figurent une série
de plusieurs divinités parmi lesquelles, tout fiers, nous reconnaissons Ganesh.
Elle signale l’entrée du temple de la déesse Taleju Bhavani, maîtresse
de la magie noire, apparentée à Devi, originaire du sud de l’Inde.
Là encore, seuls les hindous peuvent accéder à la cour de Taleju.
Nous nous rabattons alors sur une autre cour, celle du Sundari où se trouve le bain rituel des rois de Bhaktapur.En son centre se dresse un magnifique serpent sculpté qui fait face à un autre reptile sacré tout aussi beau
.
De retour à l’agitation du Durbar Square, Lalit nous fait remarquer
une massive cloche de pierre taillée au XVIIIème siècle pour appeler
les fidèles à la prière du matin dans le temple de Taleju et un shikara,
de pierre lui aussi, c’est à dire un temple coiffé d’une haute spire, caractéristique de l’architecture indienne. Nous terminons cette matinée
par le tour du temple de Nyatapola, le plus haut du Népal - il fait près
de 30 mètres -. Des colonnes de bois sculpté soutiennent cinq toits
et forment une sorte de balcon autour du sanctuaire. Cette pagode repose sur cinq socles dont la surface décroît à mesure qu’ils s’étagent. Un raide escalier central est gardé par d’énormes statues et la croyance veut
que chaque couple de ces gardiens soit dix fois plus fort que celui
qui se trouve juste en-dessous de lui.
Nous achevons notre circuit de Bhaktapur en nous perdant une dernière fois dans les étroites allées pavées de briques, remarquant là une superbe fenêtre ouvragée, ici des sculptures érotiques déroulant le kama-sutra
sur tel ou tel temple, là encore des peintres de précision exécutant
avec lenteur et patience des mandala, ces diagrammes sacrés
et colorés servant à l’origine de support à la méditation, et, partout,
le spectacle permanent de la rue : un petit enfant seul derrière un étal
de légumes, des écoliers en uniforme s’arrêtant quelques minutes pour prier dans un temple, deux jeunes joueurs improvisant une partie de ping-pong sous un édifice séculaire où quelques briques posées de champ servent
de filet...Puis, quittant la magie médiévale de cette ville attachante,
l’après-midi et le bus toujours cornaqué par Lalit nous ramènent
dans la grande banlieue de Katmandou, dans un quartier bien entendu grouillant d’animation, celui de Bodnath, où, à la faveur d’une étroite galerie marchande et à pied, nous découvrons soudainement notre premier stupa, réputé comme étant le plus grand du Népal, posé sur un terrain plat, comme une couronne au-dessus des façades pastel des boutiques et des maisons qui l’entourent et l’étouffent presque...
Par sa taille monumentale et a débauche de couleurs des drapeaux à prières
qui l’enveloppent, il nous impressionne d’emblée. Dédié à Bouddha, comme tous les stupa, il se présente avec une base hémisphérique représentant
les quatre éléments eau, air, terre et feu, percée de 108 petites niches abritant chacune une statue d’Amitabha,le bouddha en méditation, et coiffée d’une petite structure carrée, le chaku, sur chacun des côtés de laquelle
est peinte une paire d’yeux regardant chaque point cardinal. Le chiffre 1,
en népali ek, leur est ajouté sous l’incontournable troisième œil, celui
de la véritable sagesse; il dessine ainsi, avec sa forme de point d’interrogation inachevé, un nez
qui vient compléter le visage
et symboliser l’unité. 
Le chaku, lui, sert de support
à un important pinacle doré à treize niveaux - les 13 états de la connaissance -, échelle  permettant, selon Lalit, d’atteindre tout au sommet le nirvana en forme de parasol. Le mur d’enceinte
est constellé de centaines de moulins à prières que les fidèles font vriller dans le sens des aiguilles d’une montre au cours de leurs déambulations rituelles. En accomplissant ce geste, ils font tourner la roue de la Loi
qui représente le cycle de la vie et de la mort..
 


Lalit nous rapporte encore la légende selon laquelle ce stupa aurait été bâti par une femme qui demanda au roi de lui donner pour ce faire autant
de terrain que le peau d’un buffle permettait de recouvrir. Usant de la même astuce que Didon, elle coupa la peau en fines lamelles qui, mises bout
à bout lui permirent d’obtenir ce large carré sur lequel s’élève maintenant
le stupa.
Derrière celui-ci, on trouve également un splendide moulin à prières
de grande taille, puis nous poursuivons notre promenade alentour
en arpentant quelques uns des monastères pour la plupart bouddhistes bâtis autour du stupa principal et caractéristiques, en plus de leur toit jaune,
à leur entrée, par la présence de trois sculptures dessinant deux daims
et une roue. Nous assistons même à une récitation de prières dans celui
de Shechen Tennyi Darjyeling, fondé en 1984 par l’un des maîtres de l’actuel Dalaï Lama, mort en 1991 et réincarné en 1993.
C’est le lieu de résidence de Mathieu Ricard, le disciple et traducteur français du Dalaï Lama, et, ajoute Lalit, l’acteur américain Richard Gere
y était lui aussi présent à la cérémonie qui fêtait l’enfant-réincarnation
en 1997.
D’un stupa, l’autre : nous terminons, après une halte reposante
dans une fabrique de textiles, ce marathon touristique par l’incontournable visite à la colline de Swayambhunath dominant de l’ouest la capitale népalaise, faisant exactement face à Bodnath et où est érigé un autre stupa, semblable comme un frère au précédent, quoique de facture plus ancienne, puisque le site aurait plus de 2500 ans. Bien avant la venue
du bouddhisme, précise Lalit, on peut supposer qu’il y avait un monument
à cet endroit, peut-être une simple pierre saillante qui devint l’élément central du stupa.
La légende raconte d’ailleurs que c’est là qu’un patriarche découvrit un lotus au milieu de l’immense lac qui noyait alors toute la vallée. C’est pourquoi
le lotus a une importance particulière à cet endroit et se retrouve à la base des nombreux chaitya, ces petits stupa qui essaiment tout autour de leur majestueux aîné. Lalit nous rappelle aussi que la fleur de lotus symbolise
la pureté dans le bouddhisme, ajoutant que le fait qu’elle naisse souvent dans les marécages montre bien que " si on est né dans la pollution spirituelle, on peut malgré tout être pur si on le désire vraiment ".
Il évoque aussi le symbolisme des cloches, très présentes en ce lieu
et pendant masculin de la foudre représentant, elle, la sagesse. Il conclut en remarquant que " si les femmes sont sages dans le bouddhisme,
les hommes, eux, y sont cloches ".
En minorité au milieu de mes cinq compagnes d’équipée, je n’ose m’insurger contre une telle affirmation, ce qui rend un peu plus perplexe notre ironique guide.Dans notre découverte du site, nous passons encore à proximité
d’un temple à deux étages, dont le style paraît d’influence hindoue : il est dédié à la déesse Harati,
dont nous retenons plus particulièrement le nom puisque c’est aussi celui de notre hôtel, et qui aurait,
à la demande de Bouddha, guéri des enfants
de la variole. Il n’est donc pas rare, si l’on en croit Lalit, de voir des mamans venir y faire " immuniser "
leur nouveau-né. Nous passons aussi à proximité
d’un splendide bouddha de pierre et Lalit en profite
pour nous expliquer brièvement postures et symboles
des cinq bouddha : celui qui regarde l’est touche
 la terre et représente la résistance aux tentations; celui qui fait face au sud, par l’ouverture de sa main vers le bas, montre
la générosité; celui de l’ouest avec ses deux mains posées l’une sur l’autre
est en méditation; enfin, celui du nord lève la paume droite à hauteur d’épaules et symbolise la victoire sur la peur. Le cinquième, central, se veut représentation de l’enseignement.
Pour justifier enfin la présence, comme au matin à Pashupatinath,
de nombreux singes accompagnant parfois les lamas dans leurs prières, Lalit nous rapporte une dernière légende qui veut que Manjushri, le patriarche-fondateur, se fit couper les cheveux à Swayambhunath et que chaque cheveu devint un arbre et chaque pou un singe...
Slalomant entre les vendeurs ambulants, nous rejoignons finalement
notre bus et redescendons dans la vallée en même temps que le soleil, caché pourtant par une brume permanente et, à ce moment, déjà à l’horizon, derrière sans doute la grande, mais malheureusement, invisible muraille des montagnes.
C’est de nuit que nous parvenons à l’hôtel, fourbus, les yeux et les oreilles encore pleins de cette métropole fascinante, mais bien contents de savourer la vespérale tranquillité d’un petit parc aux odorants orangers.

8 avril

Il est déjà 6h du matin sur le campement de Khanchok, et je suis encore de corvée de reportage, en ce troisième jour de marche. Depuis un bon quart d’heure, le réchaud à gaz laisse discrètement entendre son sifflement régulier : nos guides et porteurs sont debout et s’activent autour
de la cuisine, faisant bouillir l’eau du  petit déjeuner et celle nécessaire
aux gourdes de la journée.
Le coin des randonneurs s’agite
plus faiblement dans les bruits
de fermeture-éclair des tentes que l’on ouvre : Sabi et Purna, les deux acolytes préposés au thé
et aux indispensables petites bassines chaudes de la toilette matinale, font, avec force sourires
et déférence, la tournée
des " chambres ".
Etrangement, l’une de mes chaussures disparue la veille au soir - je n’osais soupçonner le Yéti ni aucune de mes compagnes de randonnée, quoique... et, sans doute par la magie du même bizarre phénomène, les serviettes, apparemment volantes elles aussi la nuit précédente, de Laure et de Pascale sont toutes revenues ce matin se poser auprès de leur propriétaire respectif... (nous n’aurions que bien plus tard la réponse à ce petit mystère : une malicieuse Renée nous avouera qu’ayant voulu faire une blague
à Christian, mon compagnon de chambrée, elle confondit nos chaussures, comme moi, en représailles sur les pauvres serviettes, je confondis
les responsables de cette farce...). Pascale cependant ne se préoccupe
que de très loin de ces objets qui vont et viennent, puisque ce deuxième réveil en montagne ne la trouve pas dans un état de santé optimal :
elle se plaint de maux de ventre et commence, pendant notre copieux
et bien agréable petit déjeuner, un traitement médical à base de Smecta
et de grimaces.
Le départ est donné : à 7h précises, nous décollons des 1050 m d’altitude
de notre campement et reprenons  notre pas maintenant assuré
de randonneurs heureux de marcher dans un tel décor.
La première véritable pause a lieu deux heures et quart et 300 m de dénivelé ascendant plus tard, à un petit col où un groupe d’enfants, peu rassurés,
nous jette de loin quelques regards mi-curieux, mi-apeurés. Laure tente
de les apprivoiser, mais tout en s’approchant un peu, ils restent sur leurs gardes. L’eau, encore chaude, des gourdes étanche difficilement notre soif : c’est sans doute pourquoi notre Baboudji et Mama ( respectueux surnom donné par nos guides à notre Bernadette de photographe) traînent un petit peu dans les bars jalonnant notre parcours, en offrant des Coca légèrement plus frais à leur escorte de porteurs. Toute l’équipe réunie au col,
nous pouvons repartir, en chansons cette fois-ci.
Dumbar, qui mène la file, lance chaque fois en népali ou en gurung,
une phrase que nous tentons de reprendre ensuite en chœur, pour le plus grand plaisir des autres guides et des quelques autochtones que
nous croisons, souriant de nous entendre écorcher maladroitement
leur langue, à moins - soupçon qui nous effleure assez vite - que Dumbar
ne nous fasse à la longue répéter n’importe quoi...  Lorsque nous atteignons l’endroit prévu pour le pique-nique de midi, un peu plus d’une heure
et demie plus tard, l’équipe-cuisine est déjà sur la brèche et, à peine nos sacs posés à terre, nous nous retrouvons avec un  verre d’orangeade en main. Pascale, quant à elle, poursuit son régime Smecta, mais, surprise, lâche
son verre plein de l’amer médicament, lorsqu’à nos cris prévenants, elle se rend soudain compte qu’un frelon tentait de butiner
sa main. Après un encore copieux et réparateur repas, un mini concert s’improvise à l’ombre du grand arbre qui domine notre aire de restauration : Laure prend en main le petit synthétiseur à piles destiné à l’école de Laprak
et Dumbar sort son mandal, le tambour local, sur lequel il lance un rythme dansant auquel ne peut pas résister l’un des jeunes aides cuisiniers
qui se lance dans une démonstration de savantes et souples contorsions qu’il répétera à plusieurs occasions au fil de notre randonnée. Comme nous nous sentons aussi des fourmis dans les jambes, nous reprenons de bon cœur et d’un bon pas notre rythme tranquille de marche. Après une longue mais plutôt douce montée dans les bois, nous parvenons, un peu avant 15h, sur les lieux de notre nouveau campement et y découvrons un tableau inattendu : dans un vaste pré, au milieu de petits troupeaux de vaches noires broutant une rare herbe rase autour d’un réservoir à sec, un groupe d’une trentaine d’enfants nous accueille en chantant. C’est en fait une école
en sortie, aussi surprise que nous d’une telle rencontre inopinée.
Pendant que nos guides montent les tentes, les enfants, assis en demi-cercle reçoivent plutôt sagement leur goûter, sous l’œil appréciateur
de nos trois institutrices mesurant l’organisation disciplinée de leurs collègues népalais, et devant l’objectif très actif de Bernadette mitraillant
de tous les côtés cette scène bucolique. Une fois rassasié, l’essaim d’écoliers envahit à grands cris notre espace, qui courant entre les tentes, qui s’essayant à répéter quelques rudiments de français lancés par Anne,
qui tentant de regarder, par une ouverture sous la toile, Bernadette, peut-être en bikini, troquant sa tenue de marche pour des vêtements plus légers, qui, enfin, m’approchant, espiègles mais un peu effrayés aussi, puis
me fuyant soudain dans des exclamations de stupeur à ma mine patibulaire de grand méchant loup...Une fois l’école partie derrière son drapeau
et encadrée par ses maîtres et maîtresses sympathiques, nous apprécions
le retour du calme et la lente tombée du soir. Avec la nuit vient l’heure
du repas servi sous la grande tente prévue à cet effet, mais de plus en plus secouée par un vent annonciateur d’orage. Celui-ci ne tarde pas à éclater, vers 19h, nous surprenant en plein dîner avec son cortège d’éclairs, tonnerres et violentes rafales soulevant la toile de notre fragile abri
où se sont regroupés aussi les porteurs dormant habituellement à la belle étoile. La plupart d’entre nous court trouver refuge dans ses tentes respectives pendant que Laure et moi préférons faire honneur
à la fin de l’excellent repas préparé avec des moyens rudimentaires par notre cuisinier hors pair. Je rejoins finalement mon duvet sous une averse torrentielle. Nous entendons
le long de notre tente les guides creuser de petites tranchées pour mieux canaliser l’écoulement de l’eau. Puis, dans un début de somnolence, j’entends aussi notre vénérable Christian se plaindre d’un petit besoin pressant qu’il ne peut tout de même pas satisfaire sous la pluie battante :
il se résout donc à faire pipi dans notre véranda (comme quoi, même
un baboudji peut se retrouver dans une situation critique).
Le détail de la discussion qui s’ensuit avec notre voisine Bernadette m’échappe : j’abandonne déjà mes rêves à la colère du ciel.

Jean-Luc
 


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