8 avril
A Orly, l’embarquement sur un DC10 de
la compagnie Biman (Bengladesh Airlines) est prévu pour 19h
35.Attente à l’enregistrement de 16h à 17h 45 : la patience
commence à s’émousser… Formalités puis embarquement à 18h.
Décollage satisfaisant.
Menu du dîner : poulet et légumes à la sauce indienne
(bien épicée), semoule aux amandes.
Sommeil aléatoire…
9 avril
Réveil par l’hôtesse vers
3h 30. Il fait jour. Petit déjeuner à 4h : fruits coupés,
omelette, poisson pané, croissant, beurre et confiture, boisson
(eau, thé ou café) – menu à déguster dans l’ordre ou le désordre …
mais avaler du poisson de si bon matin n’est guère dans nos
habitudes. Vers 4h30, l’avion commence à longer l’Himalaya :
vue superbe des sommets enneigés émergeant de la brume Atterrissage
à Dacca en deux temps (le pilote est peut-être un stagiaire…).
Nous quittons l’avion au son insolite d’une bourrée (indienne ?...).
Il est 5h 45 à nos montres, c’est-à-dire 9h 45 heure locale. La
température
est de 28°C. Longue attente à l’aéroport – transit – échange
provisoire
des billets d’avion contre des jetons casse-croûte pour déjeuner
au restaurant. N.B. : Ayant perdu le jeton sacré du groupe dont il
avait
la (lourde) charge, Bernard a failli priver ses coéquipiers du repas
prévu, mais surtout du séjour au Népal (l’échange inverse devenant
impossible…). On s’en souviendra! Au menu bengladesh (voire
bengla-dèche) : sandwich indéterminé, pomme et verre de coca. Scène
locale : un groupe de pèlerins musulmans
fait la queue et se chamaille au bureau de transit. Sur l’aire
d’atterrissage, travaux de fourmis sous un soleil de plomb
pour construire une dalle de la piste. Les fourmis, dont la moitié
sont
des ouvrières, sont dirigées par un chef assis sous un parasol.
Moralité :
Il vaut mieux être chef que fourmi. Nous rejoignons notre avion
Airbus A310
par un car brinquebalant au chauffeur invisible. Départ à 13h 15
au son d’une musique orientale. Incident du voyage : par suite
d’un abus immodéré de coca (sans doute fortement alcoolisé),
Catherine envoie un demi litre de jus d’orange
sur le sari de l’hôtesse. Inquiétude : Dans le laïus du commandant
de bord, Colette croit reconnaître l’expression " Inch Allah ! " Ses
voisins l’entendent alors claquer des dents…Décollage impeccable.
Vol sans histoire. Atterrissage en douceur à Katmandou. Il est
15h heure locale. Température clémente. Accueil par Sunar et son
équipe. Récupération excessive
de nos bagages (une anglaise inconsciente ayant noué à sa valise le
même ruban rouge que nous) Transport à l’hôtel Manaslu dans deux
minibus,
à travers un dédale de rues étroites, cahotiques, encombrées et
animées. Chacun prend possession de sa chambre, la douche est
bienvenue. Rassemblement à 17h 15 pour une visite sommaire du
centre ville commentée par Christian : Durbar Square et ses temples,
le Palais Royal,
la demeure de la déesse vivante Kumari –cul-Marie pour San-Antonio
(elle n’a d’ailleurs pas voulu montrer son …nez). Parcours nocturne
du combattant dans un labyrinthe de ruelles, à la recherche d’un
restaurant hypothétique. Christian profite de la nuit (les rues sont
très faiblement éclairées) pour nous perdre. Il parvient à nous
fausser compagnie pendant un quart d’heure, mais notre guide
népalais veille sur son troupeau et ne s’en laisse pas compter
(ou plutôt compter car le nombre
de ses brebis lui apparaît fluctuant…). Son flair inné lui permet de
regrouper ses ouailles au resto. Longue heure d’attente devant de
grandes chopes de San Miguel (une excellente bière, népalaise ?), et
c’est la dégustation du menu népalais : non vegetarian set-meal (above
vegetarian set-meal plus chicken curry) à 170 roupies puis yaourt
népalais aux fruits, en dessert. Les crudités sont boudées par
la plupart des convives (attention
à la tourista !), mais le reste est très apprécié.Retour
folklorique à l’hôtel
en rickshaw (vélo pousse-pousse). A 10h 30, tout le monde est rentré
au bercail Manaslu pour une première nuit népalaise… Henri et
Colette.
10 avril
Nous nous réveillons vers 7h 30 :
le temps est superbe et nous apercevons la chaîne himalayenne. Après
un petit déjeuner anglais, nous nous retrouvons tous réunis dans les
jardins de l’hôtel pour la traditionnelle photo de groupe. Ensuite a
lieu le départ en minibus pour la visite de Katmandou. Nous nous
rendons d’abord à Bodhnath. La route est défoncée, poussiéreuse,
encombrée de camions, cars, motos, vélos, vaches devant lesquelles
le car s’arrête (an Népal, tuer une vache est aussi grave que tuer
un homme). A vive allure, notre bus slalome dans les rues de la
capitale ;
le conducteur klaxonne en permanence : c’est stressant, mais on
finit
par s’habituer. Nous arrivons à Bodhnath et admirons le plus grand
stûpa d’Asie, en forme de " mandala " décoré de multiples drapeaux
de prières
qui flottent au vent. Le stûpa est surmonté d’une flèche composée
de 13 cercles de métal doré représentant les 13 degrés de la
connaissance. Sa base est décorée sur les quatre côtés de grands
yeux de couleurs vives : ce regard semble nous fixer… C’est celui de
Bouddha qui voit tout,
ou plutôt, celui de notre conscience à laquelle rien n’échappe ;
il suit la circumambulation des moines et des fidèles qui tournent
autour
du stûpa dans le sens des aiguilles d’une montre. Ce stûpa est
vraiment majestueusement isolé au milieu d’une enceinte d’où partent
plusieurs plates-formes étagées. A la base, des niches sont
pratiquées et dans chacune d’elles se trouve un moulin à prières que
l’on fait tourner à la main. Ces moulins contiennent des rouleaux de
feuilles de papier sur lesquelles sont imprimées des prières. Autour
du stûpa se trouvent six gampas (monastères tibétains). Dans le
gampa Sakya-pa, une impressionnante statue représente Bouddha assis
à l’européenne et non dans la position
du lotus. Des moines en tunique pourpre égrainent leurs chapelets…
Un bourdonnement sourd produit par la récitation lancinante de
textes religieux remplit la salle. Dehors, de pauvres gens en quête
de quelques roupies font un bout de chemin avec nous. Nous
continuons de flâner
au milieu de cette foule colorée et profitons de faire quelques
achats souvenirs. C’est ensuite le départ pour Pashupatinath, le
petit Bénarès du Népal.
C’est ici qu’ont lieu les crémations et c’est aussi l’un des lieux
saints
de l’hindouisme, consacré au dieu Shiva. Nous assistons à des scènes
de crémation sur les berges de la rivière Bagmati, affluent du
Gange.
Le sanctuaire principal est exclusivement réservé aux seuls fidèles
hindous. On peut cependant l’admirer depuis une série de terrasses
sur la rive opposée. C’est en utilisant les escaliers que Catherine
fait une chute brutale et se tord la cheville. Elle doit être
transportée à notre hôtel pour
y recevoir des soins. Nous espérons tous qu’il n’y a aucune gravité,
mais hélas, nous apprendrons dans la soirée qu’elle ne pourra faire
le trek
avec nous et qu’elle devra être rapatriée en France le lendemain…
Après Pashupatinath, nous visitons Bhaktapur, l’une des trois villes
royales de la vallée (avec Katmandou et Patan Nous explorons le
" Durbar Square " (place du palais) et ses trésors d’architecture.
Tous réunis dans un petit restaurant en plein cœur de la ville,
situé près du célèbre " Nyatapola ", nous prenons notre repas de
midi en compagnie de nos guides, Anup
et Lalit. L’ambiance est chaude et le moral est bon. Bakhtapur,
appelée " cité des dévots ", est une ancienne et magnifique ville
médiévale, aujourd’hui grosse bourgade paysanne (Les paysans y
exposent leurs épices et autres productions) qui a gardé intacts
tous ses vestiges
du passé : temples, palais, maisons de briques rouges aux superbes
fenêtres en bois, finement sculptées.
Durbar Square s’enorgueillit d’une grande cloche qui servait pour
appeler
à la prière et sonnait le tocsin dans les périodes de couvre-feu.
Ce qui attire sans doute le plus l’attention, c’est une statue en
bronze
d’un roi Malla juchée au sommet d’une colonne. On retrouve ici les
mêmes édifices, surchargés d’ornements que l’on peut voir à
Katmandou.
La nuit tombant très vite à cette latitude, il nous faut alors
quitter les lieux et c’est le retour à l’hôtel Manaslu. Denis
11 avril Sept heures, c’est le grand jour, le
soleil brille, après un copieux petit-déjeuner notre groupe en
pleine effervescence transforme l’hôtel en ruche bourdonnante,
les tenues de trekking ont pris le pas sur celles de ville.
Les bagages sont lâchement séparés, ceux qui feront partie de
l’aventure
et ceux, moins chanceux, qui resteront à quai. L’équipe Trinetra,
en professionnels avisés, met bon ordre à toute cette fébrilité.
Le bus est annoncé, mais auparavant il faut fixer l’événement, et,
une, deux, trois, … quelques photos plus tard, le groupe s’élance
vaillamment jusqu’au portail de l’hôtel où une équipe étale du
goudron et stoppe net
son élan. En un éclair, les ouvriers prévenants, à peine
chaussés, déroulent
sous nos pieds, un tapis d’asphalte brûlant. Le bus est là, quelques
rues plus loin, qui nous attend. Plus très jeune, le Mercedes se
prête sans rechigner à notre lourd chargement, sous le regard
attentionné de son commandant. 1,2,3,4, … tout le monde est là, et
en avant ! Il est 8 heures.
Le bus s’engouffre dans le vacarme matutinal de Kathmandu, et telle
une anguille s’y faufile aisément, ponctuant allégrement chacun
de ses mouvements par quelques coups de klaxon ; soudain, à
l’occasion d’un accotement, il s’immobilise brusquement. Un
incident ? Non, c’est Antoinette qui s’évade un moment, pour avoir
son comptant de pellicules. Quelques grincements de dents. Anne et
Bernadette, pour tuer le temps, évoquent, en vétérans, ce qui nous
attend : il est question de beaucoup
de tournants mais aussi d’éclatements de pneus. De retour
prestement, notre dissidente, grâce à son sourire rayonnant et son
caractère bon enfant, a vite raison du dérangement. Déjà, la
cohésion du groupe prend
son élan. A coups de klaxon, notre bus rejoint la circulation.
Très vite, les rues deviennent de larges boulevards aussitôt conquis
par la nuée des véhicules. Les faubourgs défilent, grouillants,
piétons décidés ou en grande discussion, cyclistes téméraires,
écoliers en uniforme, artisans affairés dans des ateliers sombres et
fumants, cabanes noircies et délabrées, étals bariolés, animaux
errants ou promis au couteau du boucher ; en un long panoramique,
Kathmandu nous livre sans retenue, son quotidien riche de mille
altérités, parfois bouleversantes, toujours fascinantes.
Mais bientôt la ville
s’épuise, il est 9 heures, la pente s’accentue
et le Mercedes accuse le poids de notre équipée et celui des années.
Dans notre direction, la circulation s’est distendue et les deux
roues ont disparu ; en face, par contre, un flot continu de camions
lourdement chargés dévale vers la capitale, comme des fourmis vers
leur reine. Ces camions arborent tous la même marque : TATA,
patronyme approprié pour des adeptes du klaxon. Comme pour
surmonter cette uniformité, ils sont tous richement décorés de
motifs à la symbolique, pour nous étrangère, mais qui confère
à ce convoi une allure de fête foraine. Le sommet du col est
atteint, occupé par une file de véhicules à l’arrêt, les questions
fusent ; tout sourire Sunar nous rassure, ce n’est qu’un
péage/radar. Péage, bien qu’incongru, facile
à comprendre, mais radar ? En fait, c’est simple, le poste de
contrôle délivre au chauffeur un ticket où est notée l’heure de
passage ; à la fin
|
du parcours, un autre poste
calcule, à partir de ce ticket, le temps mis
pour l’effectuer et en déduit la vitesse moyenne, imparable ! Au cas
où cette mesure vous paraîtrait farfelue, la suite
du
voyage devrait vous convaincre de son utilité. Après le col, la route plonge
dans une profonde vallée et les chevaux de notre Mercedes, dopés par la gravité,
donnent
des ailes à notre attelage. Notre chauffeur se met à doubler tout ce
qui
pourrait les refréner, visibilité ou pas,
à petits coups de klaxon frénétiques,
il se lance dans des déplacements téméraires. Le plus souvent, la voix est libre
mais quelquefois, en face, un camion
à la masse colorée,
mais masse tout de
même, prétend s’opposer à notre envolée, le klaxon devient hystérique, les
souffles sont suspendus, mais comme dans un ballet bien réglé, au millimètre
près,
la manœuvre est achevée. Isabelle,
pour prévenir son mal de mer, s’est
installée
aux premières loges à côté
du chauffeur ; à en juger par les regards
désespérés qu’elle jette
à l’assemblée, nul doute qu’elle estime que son choix
mériterait d’être reconsidéré. Seuls, nos amis népalais, impassibles, continuent
de discuter comme si de rien n’était. Cela devrait nous rassurer. Pourtant, de
temps
en temps,
sur les bas-côtés quelques carcasses dépouillées témoignent
que
le ballet n’est peut-être pas toujours aussi parfait !
A l’arrivée, Christian,
en connaisseur, gratifiera notre chauffeur d’un " good job " chaleureux et du
pourboire correspondant ; j’ose à peine imaginer l’épopée
si cela n’avait pas
été mérité.
11 heures. Pause repas. Nous sommes au cœur
de la vallée
et, libérés
des turbulences du voyage, nous pouvons mieux savourer le paysage.
En contrebas serpente une rivière magnifiquement ourlée de rizières
aux
nuances de vert insoupçonnées. De ci,
de là, des femmes pliées semblent, par
de petits gestes saccadés, parfaire la pureté de ces tapis pourtant
immaculés. Au loin, un paysan, courbé sur sa charrue, guide
son buffle
puissant en un mouvement si lent qu’ils paraissent tous deux figés. De part
et d’autre
de cette plaine, la montagne abrupte, entièrement ciselée d’une
succession de terrasses
à la terre fraîchement labourée, n’attend que la
mousson pour germer. Ces terrasses me font penser
aux marches d’un stupa,
matérialité et spiritualité paraissent ici
se confondre dans la plus grande
sérénité.
13 heures. Notre repas achevé – un solide Dal bat, plat
traditionnel népalais – le bus s’élance
à l’assaut
de l’ultime
étape.
La route reprend
de la pente et le Mercedes retrouve une allure plus
conforme à son âge, il fait de plus en plus chaud et la torpeur gagne.
Sous
les auvents des maisons les hamacs prennent du volume, France
et Fred s’assoupissent
mollement, se soutenant mutuellement dans
une infinie tendresse.
15 heures. Gorkha, berceau de la dynastie népalaise depuis
le XVIIème ,
ici finit le goudron,
ici commence l’aventure. Le
reste du groupe d’accompagnateurs et nos porteurs sont là, enfin, ceux qui
vont se charger des bagages, les autres sont déjà partis avec l’intendance,
impressionnant ! Une multitude d’enfants, toutes dents déployées , nous
dévisagent
de leurs grands yeux amusés. Le temps de descendre,
de nous
dégourdir
un peu les jambes et le bus est déjà déchargé ; chacun des
porteurs confectionne un énorme ballot sous lequel il disparaît pour,
ensemble, s’évanouir discrètement dans la forêt. Un d’entre eux,
certainement
le plus âgé, arbore une chevelure d’ébène zébrée d’une
bande grisonnante imprimée par la courroie le reliant à sa charge. Stigmate
permanent
de son fardeau, cette bande
de cheveux décolorés semble concentrer l’immensité
de ce que cet homme
a dû porter.
En une demi-heure à peine, tout est plié, l’équipe
Trinetra démontre
à nouveau la parfaite maîtrise de son métier. Le groupe s’effiloche
lentement
et s’enfonce dans
la forêt en empruntant un sentier abrupt aux
marches empierrées que des générations de porteurs se sont échinés
à
tailler. Quelques minutes plus tard nous avons tous l’impression d’avoir
quitté la ville depuis déjà bien longtemps. Le cœur battant, comme des
explorateurs débutants, à chaque pas nous nous imprégnons de ce milieu si
particulier
qui pendant plusieurs jours va devenir notre environnement. Cette campagne à l’apparence si déserte est
le
siège, en fait, d’une activité permanente
et discrètement intégrée. Hommes,
femmes, enfants apparaissent comme par enchantement à chaque détour de notre
cheminement et chacun nous gratifie d’un gracieux namaste. Ce signe
de bienvenue
et le regard échangé
à cette occasion seront, barrière
de la langue oblige,
souvent l’unique message que nous partagerons. J’aimerais tant qu’à cet instant
ils puissent lire dans mes yeux l’instinctif respect que m’inspire leur peuple
pourtant à peine côtoyé ; mais sûrement , est-ce pure vanité. La première colline est vaincue en moins d’une heure
et
nous ne sommes pas peu fiers ; une petite pause au sommet, histoire
de
relâcher
un instant nos muscles déjà surmenés et nous nous lançons dans une
descente vertigineuse qui doit nous amener à notre première étape. On
pourrait penser que descendre est plus facile que monter,
mon œil ! Notre
démarche manque de souplesse et,
à chaque pas, persiste la furieuse impression
que nos jambes vont rejoindre nos épaules ; L’irrégularité des marches
nous oblige
à scruter constamment l’endroit
où nous posons nos pieds,
certains muscles, que notre mode
de vie occidental ne doit jamais solliciter,
lancent des appels désespérés.
La descente semble interminable. Parfois
quelques porteurs attardés, chargés comme des mulets, nous doublent
rapidement, les pieds nus
ou presque, sans s’occuper du sol et de ses pièges,
comme si chaque centimètre carré était mémorisé.
Nous
les regardons s’éloigner,
désabusés et figés!
Mais, soudain, timide
et lointain,
le clapotis d’une
rivière nous parvient et insuffle à nos corps endoloris un regain d’énergie.
Une large plaine s’ouvre enfin
à nos pieds perturbés qui, surpris par la
planéité, nous infligent une démarche légèrement saccadée. Seuls, dans
cette immensité, une petite ferme en bois
et notre camp en toiles bariolées.
Nous suivons un sentier qui serpente
à travers
les rizières et, médusés,
découvrons notre palais complètement installé. Douze tentes flambant neuves
parfaitement alignées, deux énormes tentes jumelées faisant office de salle
à manger, une autre réservée
à la cuisine et enfin, à l’écart, deux
minuscules abris toilés en guise de WC.
Au centre de ce dispositif
impressionnant, une immense bâche étalée, garnie de plateaux remplis de
biscuits et encadrée par une série
de sièges pliants ; c’est ici que
sera servi,
à chaque étape, un thé réparateur. Disposé
sur un chevalet, un
réservoir d’eau traitée, équipé d’un petit robinet,
de savon et d’une
serviette, témoigne que rien n’est laissé au hasard.
Et tout cela est
arrivé à dos d’homme, mon sac à dos
de bouffon me semble tout à coup
insignifiant.
A la cuisine, l’activité bat son
plein ? les couteaux claquent, les réchauds ronflent, les marmites
bouillonnent. L’équipe Trinetra est maintenant au grand complet et déploie,
comme si l’étape d’aujourd’hui n’avait été qu’une simple
formalité, leur énergie et leur attention sans compter. Sous les tropiques, le
jour décline rapidement, presque instantanément, il est 19 heures et la nuit s’installe
brusquement, au loin
une lueur tremblante, comme un phare sur l’océan,
signale la petite maisonnette. Le repas est servi, succulent, les discussions
vont bon train
et la descente infernale est maintes fois évoquée. Tout le
monde s’attarde,
il faut dire que l’on se sent bien là, resserrés sous
cette tente. Soudain,
un énorme gâteau, piqué de bougies vacillantes, fait
son entrée sous
les hourras de l’assemblée.
En lettres colorées, et en
français s’il vous plaît,
on peut y lire " Joyeux anniversaire
Colette ", aussitôt le groupe entonne l’hymne consacré ;
Colette très émue confie à Henri le soin de partager
ce cadeau inattendu. L’émotion,
quant
à elle n’aura pas besoin de couteau.
Dehors, la nuit est calme et noire,
chacun rejoint son abri nocturne
et en peu de temps le silence devient
impressionnant,
à peine troublé
par
le bruissement de la rivière et par cet
oiseau,
au cri étrange, qui comme un gong doux et régulier va bercer nos
premiers rêves népalais.
Alain.
12 avril
" Le long de la rivière Daraundi
Khola "
Après la première après-midi
de marche et la longue descente des
" escaliers ", la nuit fut réparatrice.
Le jour pointait à peine quand nous fûmes réveillés par le bruit des
gamelles. Le thé nous
est rapidement servi devant chaque tente et une cuvette
à demi remplie d’eau tiède servira pour
la toilette.
Le petit déjeuner
est copieux et bourratif : cornflakes, œufs, toasts,
beurre, miel, confiture, chocolat, café, thé.
Pendant que nous déjeunons, l’équipe népalaise s’affaire : elle
démonte les tentes, empile nos sacs dans les paniers…
Chacun a sa tâche et
tout est parfaitement orchestré. Rapidement tout
est prêt. " Prêt -
Prêt - Prêt ".
C’est parti pour une longue journée de marche qui, selon Sunar, sera facile
car nous allons longer
la rivière. Nous quittons le camp et nous traversons
la Daraundi Khola (Khola signifie rivière) sur un petit pont de rondins de bois.
Certains se font aider, d’autres traversent
gaillardement le pont branlant.
En longeant le lit de la rivière, nous arrivons vers un village où une bande
de gamins accompagnés d’un grand chien jaune poursuit un gros singe
qui ne
voit son salut qu’en traversant le courant. Mais toute l’équipe part
à sa
poursuite. Le singe réussit à trouver refuge dans un petit bois. Les enfants
lui jettent des pierres. Ce soir, ce sera le réveillon de l’an 2057
et
nous ne saurons jamais s’il passa à la casserole.
Le sentier longe la rivière , traverse des champs, des villages, des rizières.
L’eau est abondante.
Nous croisons des villageois : " Namasté.
Namasté. " Ils rient en voyant
la barbe et les jambes poilues de
Nicolas. Nous cheminons dans la forêt.
Une petite halte vers un point d’eau rassemble tous les trekkeurs.
Marie-Claude s’en souvient encore. En voulant se rafraîchir, elle laissa
glisser son appareil photo dans le ruisseau. " Pauvre petit
oiseau ", il ne sortira plus.
Christine est malade depuis ce matin, elle a une petite mine, mais cela
ne l’empêche
pas de suivre allègrement et courageusement. A la sortie
d’un village, sous
un arbre immense, toute la troupe s’arrête. La pause
de midi est attendue par
tous. Pendant que les cuisiniers s’affairent
sur la petite plage, les
" goras " (les blancs) se reposent. Certains sont allongés,
les yeux clos ; d’autres en profitent pour rafraîchir leurs pieds
dans
le courant de la claire rivière.
Citronnade ; repas rapide : salade
de chou - sandwich - fromage - œuf
dur - thé .
Pas de sieste : à peine
la vaisselle rangée, on repart . Denis
cherche vainement sa canne, il sera obligé de se tailler un bâton de pèlerin.
Le sentier suit le flanc de la montagne, la rivière coule en contrebas.
La
digestion, la chaleur,
la fatigue, la pente, je ne peux plus avancer. L’angoisse
m’envahit. Je m’imagine déjà sur le dos d’un porteur : " Puré
doit être le plus solide ! " Je m’imagine dans un doko (un
panier),
les jambes coincées je ne sais où. Sunar et Christian me
réconfortent. Nicolas m’encourage, Kaley prend mon sac à dos. Je repars
lentement
en réglant mon pas sur celui de Sunar : " Bistaré –
Bistaré " (lentement, lentement). Ouf ! J’ai repris mon
rythme, c’est reparti. Le moral revient.
Les autres sont déjà loin, on ne
les aperçoit même pas. Ils galopent,
Marie-Claude en tête.
Nos pas froissent les feuilles sèches, on entend
le coucou, le chant
des
oiseaux et des cigales. Il fait chaud, très chaud. La vallée s’élargit, j’aperçois
les porteurs qui font une halte. Je rattrape
le groupe et …
on repart
aussitôt. Nous cherchons l’endroit propice pour installer
le campement.
Voici un bel emplacement vers un village, on va pouvoir
se reposer. Nous sommes
à peine arrivés que l’aubergiste du coin arrive avec un seau chargé de
bouteilles de bière et de coca :
les boissons préférées de "goras".
Les gamins
du village sont là : l’un d’eux s’est installé
au sommet
d’un petit arbre tel un corbeau sur son nid et il observe.
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