avec les sacs par les porteurs.
Le petit déjeuner, comme toujours,
est consistant : oeufs, crêpes-galettes,
corn flakes, toasts au beurre
de yak et au miel ou
à la confiture, arrosés de
thé ou de café.
Quelques enfants viennent encore nous rendre visite, comme hier soir
où
Isabelle leur avait prodigué quelques "leçons".
Désir d'apprendre
de ces enfants comparé à la passivité des enfants français ?
Quelques uns
rêvent de refaire le monde de l'éducation !
Départ du camp vers 7 h 40.
Nous longeons des terrasses sculptées
sur des pentes incroyables portant
de
vigoureux plants de maïs ;
un homme menant un attelage de deux boeufs
à bosse
laboure
une de ces parcelles
de terre brune et profonde ; les lopins sont
maintenus partout dans un propreté impeccable, témoins du labeur attentif
des
paysan(ne)s. Nous passons sous
un datura qui renverse au-dessus
de nos têtes
ses cornets blancs narcotiques ! Nous traversons quelques hameaux
au milieu du
chant des coqs et passant devant des chèvres recluses dans
des enclos de
bambous.
Contre un mur, une grappe d'enfants serrés les uns contre les autres,
mi
inquiets, mi souriants : Namasté !
Le chemin commence à monter.
A un détour, la chaîne des Annapurna apparaît
devant nous, étincelante
de blancheur. Un peu plus loin, ce seront sur notre
droite les Ganesh reconnaissables à leurs formes raides,
puis le Boudha Himal
plus arrondi. Apparitions toujours aussi saisissantes, majestés blanches qui,
du haut
de leur 7000 voire 8000 m, continuent à nous couper le souffle même
la
deuxième,
la troisième ... fois.
Nous nous séparons en deux groupes empruntant deux sentiers voisins.
La pente se fait de plus en plus raide, entrecoupée de marches.
Le souffle
coupé ... cette fois au sens propre, nous nous accordons
une pause et tandis
que nous récupérons, Sun et Biré nous dénichent
dans un buisson de petites
framboises jaunes : savoureuses ! Une de ces petites attentions qui vont droit
au coeur et
que tous pratiquent à Trinetra : sherpas, cuisiniers ou sirdars !
Nous montons au flanc de la "Selle
de Cheval" en haut de laquelle
flotte
le drapeau maoïste, comme
une menace.
Après une courte descente, nous recommençons à grimper ; cette fois,
c'est du
sérieux : nous entamons l'ascension du Darché
et n'allons plus cesser de
monter jusqu'à son sommet (3200 m).
Pause à Tchénéri sur
un chautara (plate-forme surélevée
qui permet
aux porteurs de poser leur charge, lors d'une halte) à l'ombre
d'un pipal. En
repartant, nous passons devant plusieurs sépultures de pierre (manis) dont
celui d'une femme
en couches reconnaissable
à sa représentation sur une pierre
gravée.
Mais voici que Biré revient
à notre rencontre, apportant une bouilloire
de
citronnade. Cet "apéritif" signifie que
la pause-repas est proche et
nous redonne ardeur à la marche.
Un peu plus loin, en contrebas du sentier, quatre femmes moissonnent
un champ
de
blé en rassemblant d'une main les tiges qu'elles raclent
de leur faucille pour
les égrener et en jetant la poignée
de grains
dans leur doko. Elles
échangent plaisanteries et rires à notre passage.
Nous arrivons sur le lieu du pique-nique, creux verdoyant idéalement situé
près d'une source entourée de grands arbres portant des orchidées.
Sitôt le repas terminé, Sunar part
en repérage avec les porteurs,
tandis que
nous profitons d'un moment de détente, voire de sieste
pour certains. Cathy,
Christian et Denis racontent des histoires drôles.
Vers 15 h 30, nous repartons sur le sentier toujours aussi raide,
mais plus
ombragé
(la forêt du Darché n'est plus très éloignée). L'étape sera très
courte
(une demi-heure) : Sunar s'étant rendu jusqu'au camp prévu,
a constaté
qu'il était occupé par un berger et son troupeau ;
il est donc revenu sur ses
pas pour trouver un nouvel emplacement ; une étroite terrasse abandonnée
couverte de broussailles et voisine d'un point d'eau fera
l'affaire ; Sunar et
les porteurs ont arraché les broussailles et y ont établi les huit tentes soigneusement alignées. Ce camp est déjà
dressé quand nous y arrivons vers 16 h ; nous nous y installons. L'étape
a donc
été plus courte que prévu. Seul Eyup poursuit un moment l'ascension
en solitaire ; il reviendra deux heures
plus tard.
Après avoir pris possession de nos tentes, c'est l'heure du thé. Une
discussion s'engage entre Christian, Alex, Michèle, Anup ... sur des sujets
sérieux :
les Maoïstes,
les manifestations
à Kathmandu, la politique
népalaise
et jusqu'aux cours des monnaies et
à l'arrivée de l'euro (€) ...Nous nous réfugions
sous les tentes car
la pluie commence à tomber. Pourvu
qu'elle ne dure
pas jusqu'à demain pour passer
le Darché ! Mais non, voilà
qu'elle s'arrête !
Des enfants nous rejoignent : ce sont
les enfants du berger installé plus haut.
Ils ont l'air très déluré ; l'un d'eux joue avec un lance-pierres
au
maniement duquel il excelle. Ils répondent en gurung
à nos questions.
Ils nous
tiennent compagnie jusqu'après le repas du soir
que nous prenons sous la grande
tente dressée sur la terrasse supérieure.
A la tombée
de la nuit, nous regagnons nos tentes pour un sommeil que chacun
espère réparateur.
Annick et Régis Declerck
Compte-rendu de la Journée du vendredi 20 avril sur un
petit air connu…
Le soleil vient de se lever,
Encore une journée ensoleillée.
Nous voilà en 2057,
sur les montagnes
du Népal.
Après avoir tous bien ronflé
Jusqu'à 6h on a fait la grasse matinée
Réveillés par un thé sucré des aide-cuisiniers.
En 2,4,6 les tentes sont démontées,
Chacun est "prêt-prêt" , un peu lavé
Le petit "déj" est préparé, il faut manger.
Un bol de porridge pour commencer,
Puis oeuf sur le plat pour continuer
Thé ou café pour digérer, nous voilà revitaminés
Avant de partir Cathy a fait remarquer,
Qu'une glace ne servait pas qu'à se maquiller
Que les sangsues bien cachées devraient s'en méfier.
Alain, loin de ses chenilles adorées
Du vert au rouge il est passé
Sans doute le mal du pays, la tourista ne l’a pas épargné.
La caravane des porteurs est déjà partie
Si lourde, si longue pourtant si animée
Par des hommes aux sourires émerveillés
Au coeur aussi gros que les charges portées.
Petit à petit les marches sont montées,
Sous les regards des enfants étonnés
De voir des "Gora" aussi cinglés sur leurs sentiers escarpés.
Mais on était tous motivés
Accompagnés des chèvres, encouragés par des " namasté "
Pour le déjeuner, je vous rassure, on ne les a pas mangées!
Enfin le col à 3200 est franchi
Un immense feu, par les amis porteurs,
est allumé
Pour réchauffer nos membres fatigués, une pose est méritée.
Lors de la descente tout s'est bien passé
Sauf que "ptit loup" voyant les montagnes voulait skier
Il n’arrêtait
pas de glisser pour nous impressionner.
Arrivée au camp… Tout était déjà prêt
Autour du feu tout le monde s'est rassemblé
Le "Cathy House Band" s'est mis a chanter
Mais le Goriiii..iiill-le ne s'est pas pointé.
Annie s'est prise pour Maïté,
A goûter le plat des cuisiniers,
Puis s'en
est allée faire un tour au " Palais du
Roi ".
Alain notre second garde forestier
Animé d'une grande curiosité
a immortalisé Annie au " Palais du Roi "
sur fond
d'Himalaya.
Pour le dîner vous ne devinerez jamais
Même chez " Pizza Hut "
vous ne pourriez la trouver
Eh oui, " Royal Vegeterian Pizza " aux légumes parfumés.
Denis aura atteint son plus haut sommet
Non pas grâce à ses pieds
mais à la force de ses poignets
La tarte au citron aux quatre pics
ne lui a pas résisté.
Le soleil vient de se coucher,
Un grand merci aux Sherpas, Porteurs
et Cuisiniers
De nous dorloter comme des bébés
Shuuuuttttt! Maintenant
il faut rêver.
Le sourire des Népalais,
j ai appris à l'aimer dans le silence,
à l'écoute
de leur vie. […]
Les Sherpas, à la difference des porteurs, connaissent
un anglais rudimentaire
qui ouvre la porte au dialogue, surtout si nous avons
fait nous-mêmes l'effort
d'apprendre quelque mots de népali.
Pour eux, la montagne est sacrée. Dès l'enfance, ils ont appris a l'aimer
malgré la vie rude qu'elle impose, et la découvrir avec eux devient
une
initiation. Dans les passages difficiles, ils nous aident et leur ardeur
est
alors sans limite. Avec une délicatesse bien à eux, ils savent aussi
partager nos joies et nos tristesses. Sans effusion ni gestes superflus,
juste
un regard de connivence.
J'aime leur gaieté, leur courage
et leur dignité. A la rencontre de leur
culture, ma vie s'est enrichie
d'une nouvelle dimension. "
Nadine Hubert (Chef d'expédition à l'arête Est de l'Ama-Dablam, 1983)
Texte que m’a remis Mme B. Selb
Eyup Aksen
21 avril
3000 mètres. C’est l’altitude à laquelle
une fraîche
aurore nous accueille
ce matin là, c’est aussi le point le plus élevé de
notre périple. Derrière nous, en contrebas, les collines dont nous avons
sillonné les flancs trois jours durant ; devant nous,
à perte de vue, un
rempart de blancheur, silencieux, majestueux, l’Himalaya, domaine des Dieux.
L’horizon tout entier
lui est consacré avec, pour toile de fond, un ciel dont
le bleu trahit une nuit évanescente. Seuls, quelques gros nuages blancs par
leurs molles courbes troublent la pureté du panorama. Soudain, dans un éclair
blanc, l’orient s’embrase d’une clarté insoutenable ; le soleil
levant illumine progressivement pics et murailles, comme s’il voulait faire
les présentations, Shringi Himal, Ganesh Himal, Bouddha Himal.…
Les
photographes mitraillent, en vain peut-être, quelques grains d’argent
peuvent-ils fixer une telle magie ? Le souffle coupé
par tant de beauté
nous contemplons longuement cette vertigineuse muraille
qui nous domine de plus
de 3000 mètres
et nous écrase de sa démesure. Paradoxalement, une profonde
sérénité émane de cet endroit, rempart de tous
les dangers.
Peu à peu, une légère brume progresse
des vallées et voile ce joyau comme
pour mieux
le préserver, le spectacle est terminé. Derrière nous notre
bivouac
a disparu et, seul dans l’immensité, le carré coloré de la nappe du
petit déjeuner nous ramène à la réalité. Prochaine étape Laprak, but de
notre voyage, 800 mètres plus bas.
Notre collation achevée nous voici donc précipités dans la descente
vers le
village tant attendu. Le sentier serpente le long d’une crête au cœur d’une
forêt aux arbres moussus et surannés. D’énormes rhododendrons arborent les
vestiges d’une floraison qui, il y a peu de temps, flamboyait encore du rouge
sang au blanc le plus pur. De-ci de-là gisent quelques arbres abattus dont ne
subsiste que
le tronc condamné à la pourriture,
trop lourds à transporter sans doute. Parfois
même la hache du bûcheron,
pour quelques étranges raisons, a entamé certains
sujets sans les achever,
les abandonnant, ainsi mutilés, à une mort différée
mais certaine. La gestion forestière durable est, ici, une notion secondaire,
mais qui pourrait
le blâmer ?
Lentement la forêt cède sa place
aux premières terrasses cultivées, nous
sommes pourtant à plusieurs heures
de marche du village. Quel courage,
quelle
force vitale cela suppose pour tirer parti
de ces quelques lopins de terre
disputés à la montagne et dont l’horizontalité fragile est sans cesse
compromise au sein de cet univers vertical où Sisyphe lui-même aurait sans
doute abdiqué !
Le sentier s’élargit et épouse
les courbes ondulées du relief.
D’un flanc
de montagne à l’autre, Sunar
et son équipe conversent tranquillement dans
leur langue maternelle. Sans qu’ils n’aient besoin de crier, leurs paroles
semblent rapprocher
les montagnes
et pour la première fois je perçois à quel
point tout,
ici, est en parfaite harmonie. Pour la première fois aussi, je
ressens combien ma culture occidentale
est éloignée de celle qui permet de
vivre
ou de survivre dans cette vallée profonde et coupée du monde. La crainte
d’être
un intrus surgit et les doutes aussi.
Mais au détour d’un lacet une rencontre fortuite dissipe mes pensées.
Une
jeune femme et son fils s’en allant aux champs croisent notre chemin.
Elle, tout sourire, de ce sourire si particulier (qui me fait craquer), à la
fois rayonnant et gêné,
que de brefs mouvements de mains tentent en vain
de
réprimer, et qui semble régulièrement s’évanouir pour mieux s’épanouir.
Lui, la mine renfrognée, visiblement contrarié. C’est qu’il aurait bien
voulu rester au village, le pauvre, en ce jour
si particulier. Nous sommes à Laprak maintenant c’est sûr, et nous sommes attendus.
En effet, quelques lacets plus loin, une vue plongeante sur la vallée dévoile
un petit carré luisant, pas plus gros qu’un timbre poste, le toit de l’école.
Tout alors s’accélère, nos pas sont plus légers et
les efforts oubliés,
le
carré grossit à vue d’œil et nous pouvons distinguer maintenant la cour déserte :
c’est normal … il est à peine 11 heures et
la classe n’est pas
terminée. Les terrasses sont plus larges et spacieuses, les blés quasiment
mûrs brillent au soleil,
et soudain apparaît, planté comme
une bouée, le mur
arrière de l’école aux pierres habilement travaillées. Pas un bruit, pas
même une rumeur, juste les cœurs
qui battent la chamade.
De l’angle du mur, Sunar jaillit, bondissant comme un cabri, et nous invite
à
avancer. Alors, brusquement, la montagne s’inonde d’une clameur immense. Une
double haie d’enfants décrit dans la cour un long labyrinthe dans lequel nous
sommes précipités… 400 enfants crient à tue tête,
les bras chargés de
fleurs, les yeux pétillants, les pieds trépidants,
les mains débordantes de
vermillon.
Nous progressons lentement, découvrant au passage l’incroyable
diversité
du Namasté, croulant
sous les fleurs,
le visage vermillonné où les
larmes creusent de petits sillons.
Et cette clameur qui enfle, qui enfle…Ce long couloir de sourires et de joie nous conduit, abasourdis et tremblants,
au pied de l’escalier où, les bras grands ouverts, les membres du comité
villageois et
du corps enseignant nous étreignent chaleureusement.
Existe-t-il des mots suffisants pour décrire un tel accueil ?
En contrebas de la cour, notre campement
est déjà installé et, après un
repas vite avalé, nous pouvons admirer l’ébauche d’une nouvelle école.
Les murs émergent
à peine du sol mais donnent une idée précise du futur
bâtiment. La technique est simple, efficace, mais redoutablement pénible.
Plusieurs hommes taillent des pierres qu’ils trient dans
un énorme tas
alimenté par de jeunes femmes les charriant dans leur doko après les avoir
arraché à la montagne.
Par un coup de rein vif et précis, elles
se
débarrassent de leur charge par dessus leur tête… Impressionnants ces blocs
de plusieurs kilos qui frôlent leur chevelure !
Plus loin, quelques
femmes, dans un ballet circulaire incessant, foulent
du pied un mélange de terre et d’eau qui servira
de liant.
Sans outils
sophistiqués, mais avec un savoir faire saisissant, d’autres hommes conjuguent
le travail des autres
et façonnent la solide construction.
Chaque famille du
village consacre gracieusement plusieurs jours de travail
à cet ouvrage. De la
sorte, elles participent au projet en fournissant
ce dont personne ne manque ici
:
le courage. En rejoignant nos protégés, nous voyons évoluer, sur le versant
dominant l’école, les porteuses
de pierres dont les corps souples et robustes
ondulent au rythme des blés qui leur servent de décor. Même dans l’effort,
leur
grâce ne les quitte pas.
Mais maintenant l’heure est au spectacle. Les enfants nous ont concocté
une
représentation qui met en scène
les valeurs du bien et du mal sous forme de
danse à la gestuelle gracieuse et sobre. Deux jeunes filles,
à la voix
suraiguë, accompagnent l’évolution des danseurs,
de chants traditionnels
rythmés par le son mat du mandal. Les enfants, assis
à même la terre,
délimitent un demi cercle qui fait office de scène.
Leur visage constitue en
soi un autre spectacle, tour
à tour s’illuminant, grimaçant,
ou se
refermant, comme un miroir dans lequel le spectacle
se refléterait.
De l’enthousiasme
et de la curiosité
à l’état pur ! Derrière eux, mais debout,
les
mamans élargissent le cercle
et abusent de leur sourire irrésistible.
Au
final, l’incontournable " Resam Firiri " est entonné avec
vigueur, et notre groupe se lance dans une danse frénétique
qui fait exploser
des centaines de visages népalais. Cette chanson populaire qui peut être
fredonnée avec la plus grande douceur, presque avec tristesse,
ou attaquée
énergiquement reflète bien,
à mon sens, l’âme népalaise, ce courage
résigné et tranquille, capable de déplacer des montagnes.
Le spectacle terminé nous sommes invités à visiter les installations
scolaires.
Tout le matériel fourni
par l’association
est soigneusement
présenté sur une table afin de nous assurer de son bon usage. Sur une autre
table sont exposés
des objets créés par les élèves, répliques d’objets
du quotidien à partir de matériaux
de fortune, à la beauté simple que
confère l’authenticité. Puis, le directeur nous guide avec fierté vers la
grande nouveauté
de cette année :
|
la bibliothèque ! Accolée au
bâtiment principal, une petite pièce
de quelques mètres carrés, à peine
éclairée par l’ouverture de la porte, présente sur son pourtour une série
de documents à la disposition
des élèves.Au plafond, suspendus à un fil tendu comme du linge qui sèche,
plusieurs illustrés sont exposés. Intrigués, nous demandons si ces ouvrages ont
été mouillés. Le directeur nous rassure et nous explique qu’il s’agit
de présentoir pour inviter les enfants à la
lecture.
Sans commentaires !
Dehors, le ciel s’assombrit et l’orage menace. Sunar m’invite à déguster
quelques pommes de terre cuites dans
la braise chez sa tante qui, me dit-il, lui
concocte ce plaisir à chacune de ses visites au village.
La pièce est
minuscule et très sombre. Mes yeux, surpris par l’obscurité,
ne distinguent
que quelques sourires et, dans un petit foyer creusé
à même le sol, le faible
rougeoiement de
la braise ; le plafond en paille tressée est bas et noirci
par la fumée ; pas de fenêtres, pas de cheminée. Lentement,
ma vue s’accommode
au manque
de lumière et je peux à peine distinguer
le visage de mes hôtes. La
tante et l’oncle de Sunar sont assis
de part et d’autre
du foyer sur des
banquettes très basses qui, je présume, leur servent également
de lit. Une
simple natte les garnit. Ni table,
ni mobilier. Un des murs est garni
d’un
rayonnage en bois où s’aligne
une vaisselle exclusivement en métal :
des assiettes, des plats, des tasses, quelques marmites. D’une main experte,
la tante de Sunar extrait
les patates
de la braise, ce qui provoque un regain
de
luminosité
et me signale la présence
de deux jeunes personnes à ma droite,
légèrement en retrait. Les patates sont délicieusement douces
et fondantes,
la pluie crépite maintenant sur le toit et
le tonnerre gronde,
le foyer
dispense
une douce chaleur parfumée, le monde moderne
et ses turpitudes est
bien loin,
je me sens bien.La nuit est tombée, l’orage s’est apaisé… Allongé dans ma tente, ma
tête résonne encore de cette clameur immense
et je revois tous ces visages rayonnants de joie,
mes doutes n’y
résistent pas.
Alain Barulea
22 avril
Au réveil, nous avons droit à une superbe vue sur les montagnes enneigées et
aux regards curieux des petits laprakis levés
de bon matin pour contempler les
fameux goras venus de si loin pour les rencontrer.
Vers 10 heures, nous assistons
à la rentrée des classes dans la cour
de l’école.
Les enfants sont en file indienne (ou plutôt népalaise) et rangés par
classes. Les files sont de moins
en moins longues quand on passe
du niveau 1 (à
effectif pléthorique) au niveau 8 (à effectif fort réduit).
Sous la direction
de Rajendra et des instituteurs,
les enfants font quelques mouvements
de
gymnastique, écoutent les consignes puis regagnent
leurs salles de classes.
Michel, Annick et Régis se sont installés dans le bureau du directeur et vont
procéder à la vérification de la vue
des écoliers. Les enfants qui arrivent
par petits groupes semble craindre
au début ce grand Monsieur français
qui va
peut-être leur faire des misères. Mais les premiers testés ont dû passer
le
mot (le Monsieur est très gentil)
aux suivants qui arrivent beaucoup moins
apeurés.
Ce n’est pas facile de tester leur vue car certains ne connaissent pas notre
alphabet… Alors il faut s’adapter et notre chère petite équipe fabrique
sur le champ un alphabet népali.
C’est assez folklorique ! Certains ne
sachant pas encore lire les lettres,
il faut à nouveau s’adapter et l’on
dessine une planche d’images (objets usuels, animaux, fleurs etc
Certains enfants trichent pour avoir
la chance
de porter une paire de lunettes.
Les instituteurs sont d’ailleurs les premiers
à tricher (les lunettes
seraient un symbole de promotion sociale). Heureusement
ils ont trouvé plus
rusé qu’eux. Le Docteur Michel s’en aperçoit vite et seuls un ou deux
gamins à la vue parfaite auront gagné dans l’affaire une paire de lunettes
souvenir.
En même temps, dans la cour, a lieu
la traditionnelle séance de photos pour
les nouveaux enfants parrainés.
Cette année, notre correspondant Suk
a
préparé les chose efficacement.
Les enfants portent sur leur poitrine un petit
papier avec leur n°
de parrainage. L’aide de Sun et de Anup est également
appréciée.
Cathy prend les photos et fait connaissance avec sa petite
filleule.
D’autres membres du groupe rencontrent aussi leur nouveau (nouvelle)
petit(e) protégé(e) : Michèle, Jean-Luc
et Alexandre. Tout se passe dans
le calme et beaucoup plus vite que l’an passé.
Ensuite c’est la distribution des paquets cadeaux (450 montés à dos d’homme
depuis Gorkha).. Nous procédons classe par classe, et c’est chaque fois
un
bonheur de voir les mines réjouies
des enfants recevant ce qui est peut-être
leur premier cadeau. Rajendra explique
à la classe ce que contient le paquet
et
comment se servir
de chaque objet : serviette de toilette, savon, brosse à
dent et dentifrice, ciseaux et coupe-ongles, miroir et shampoing.
Nous mangeons assez tard car la matinée a été bien remplie.
Après le repas, nous descendons au village pour visiter la petite école
" Jal Devi ", remise
en état par l’association,
et
apporter les cadeaux aux petits
des classes 1.
L’accueil est comme celui de la veille extrêmement émouvant. Les petits nous
font une haie d’honneur et rebelote !
On a droit à nouveau
au barbouillage
à la poudre rouge, aux
colliers de fleurs
et aux cris
de bienvenue.
Les deux instituteurs engagés par
" Les amis de Laprak "
nous ont préparé
un petit spectacle : chants et danses par les enfants.
Nous versons notre larme…Ensuite nous visitons les deux salles
de classes, petites et sombres où s’entassent
plus de cent gamins.
Nous procédons à la remise des cadeaux et là, dommage, Rajendra
n’est pas
ici pour expliquer comment se servir des
divers objets
de la " trousse de toilette ". Certains petits malins essayent
leurs ciseaux sur
la chevelure de leur voisin de devant tandis que quelques
petites filles repartent avec leur serviette de toilette en guise
de châle …
On nous fait voir les objets fabriqués par les enfants en travail manuel
et
chacun d’entre nous a le droit de choisir un objet comme souvenir
de la
visite.
Nous remontons à notre camp, faisons
un arrêt au " bar des
français ".
Nous remettons à Rajendra
les médicaments de première urgence apportés pour
l’école et lui expliquons
en détails à quoi ils servent et quelle posologie
utiliser.
La soirée est pluvieuse… aussi nous mangerons bien à l’abri sous l’auvent
de
la maison jouxtant nos " cuisines ".
Isabelle Oulikian
23 avril
Le jour se lève sur un panorama superbe, le
ciel ayant été lavé par les pluies de la veille. Le vent du nord souffle la
neige
sur les sommets, ce qui augure bien
du beau temps. Denis, avec ses
jumelles, intéresse fort les enfants
qui attendent l’école. Autre scène
mémorable,
la fontaine assaillie
par de nombreux enfants venus étrenner leur
brosse
à dents, certaines chevelures ayant
par ailleurs fait les frais de
coupes sauvages
par les ciseaux de petits camarades.
Au menu du petit déjeuner,
du kir,
non pas du petit blanc-cassis mais une
préparation à base de riz et de lait, avec quelques fruits secs, peu avenante
d’aspect mais fort bonne.
Ce dernier jour à Laprak fut celui
des réunions, entre les responsables
du
village, de Trinetra et de l’association, sur la manière d’aider le village
le matin, sur le projet forestier l’après-midi.
Pour le reste du groupe, aide à Michel qui, après avoir équipé le village
de
lunettes, dévoile des talents insoupçonnés
de chirurgien pour assainir
quelques plaies malsaines que certains habitants lui présentent.
Et aussi,
nouvelle découverte du village, des cultures qui l’entourent, jusqu’au
torrent et à la passerelle vertigineuse situés tout en bas : un coin
magnifique orné de plusieurs belles cascades, départ du chemin qui rejoint
le
tour du Manaslu. Entre autres anecdotes pittoresques, ce garçon de 4-5 ans qui
lave son pantalon avec un savoir-faire de lavandière, cette poule qu’une
femme emmène aux champs, pour
la laisser picorer pendant qu’elle travaille,
et Eyup enlevant son tee-shirt pour
le donner à une jeune fille
de Laprak.
Pour la plupart cependant, le point fort
de cette journée fut la visite
des
filleuls dans leur famille. Plusieurs membres
du groupe étaient venus
essentiellement pour cette rencontre, qui a permis
de rendre concret
le
parrainage, lien amical entre des européens souhaitant
se rendre utiles
et de
jeunes népalais animés d'une féroce soif d’apprendre, pour améliorer leur
condition.
Pas facile de retrouver tous les enfants nouvellement parrainés et leurs
parents, même guidés par le permanent
de l’association
à Laprak.
Laprak est un labyrinthe de venelles dallées ; les maisons se ressemblent.
Il
faut prendre des repères auprès
des torrents canalisés, de certaines places
ou maisons colorées, ou de quelques arbres qui dépassent, comme
ce thuya dont
les aiguilles sont récoltées, séchées et vendues
à des groupes
pharmaceutiques. Aux détours du chemin, on découvre certains aspects un peu
sordides, la saleté de certaines ruelles
et les enfants marchant dans les
égouts.
N’empêche, ces instants mémorables ont mis du baume aux cœurs (plus fort
que
le baume du tigre !). S’il ne fallait garder qu’un souvenir du voyage,
ce serait certainement
celui-là. Nous ont été offerts l’hospitalité des
familles faisant la grâce
de leur intérieur petit et sombre mais soigné,
quelques mots et beaucoup
de gestes pour se faire comprendre,
la reconnaissance
rayonnant
dans les yeux des enfants et des mères, l’échange
de quelques
cadeaux, tee-shirts ou cartes postales pour eux, graines ou artisanat pour nous,
et pour finir la photo de famille. Qu’il soit possible de nouer des liens
malgré la distance, la langue et les cultures, de s’engager à veiller sur
l’enfant
non pas à la place du père ou de la mère, mais comme un parrain,
une
marraine,
une bonne fée peut-être, qui peut aider, apporter à l’enfant ce qui
lui manque pour grandir en citoyen du monde, voilà de quoi croire
un peu plus en
l’humanité.Et pour prolonger ces brefs instants, une douce soirée sous les étoiles. Assis
près
du monument proche de l’école du haut – stupa ou mani ? en tout cas
un lieu apprécié des Laprakis, faisant face
à la vallée d’où monte le
bruit du torrent
et à l’Himalaya, on goûte le calme et
la beauté de la
montagne, de quoi comprendre que l’on puisse être attaché
à ce village, à
ce coin de Terre.
Martine et Alain Grognou
24 avril
Au dessus du village, nous retrouvons l'autre partie du
groupe. Des femmes sont là également. Elles ont posé leur Dokko chargé de
bois mort,
elles sourient ...
Nous admirons les premiers rhododendrons en
fleurs. Plus loin, l'équipe
de cuisine nous attend au col avec le repas de
midi: beignets, thon, salade de haricots verts, mangues au sirop. Des habitants
de Laprak passent chargés d'énormes sacs de riz,
de Dokkos remplis et tout au
long
de la descente, nous en rencontrerons tellement qui remontent de la vallée
que j'ai l'impression d'être sur l'autoroute pédestre : Laprak-Vallée
( je vais d'ailleurs un peu plus tard rencontrer la maman
de Shi Ral, mon
filleul).
Cette descente, 1800 m de dénivelé,
en plein soleil, sera dure!
Mais
un berger nous a fait cadeau de magnifiques bâtons de bambou!
Nous traversons deux villages, plus riches que Laprak, il y a même
l'électricité!
Les toits et les murs des maisons sont souvent en feuillages
enchevêtrés
de branchages , de paille, d'herbes.
Les couleurs sont ocres,
dorées...
La descente "infernale" approche de sa fin, la fatigue se fait sentir,
Jean-Luc tire
la jambe, Annie peine, mais un des sherpas nous fait chanter en
Népali, ce qui amuse bien les gens que nous rencontrons.
A la nuit tombante nous atteignons
le campement au bord d'un torrent qu'enjambe
un pont suspendu. Un endroit magique! Deux cabanes
de branchages : l'une est une
auberge. L'autre ressemble
à une grotte:
les porteurs sont accroupis, je ne
distingue que leurs yeux, leurs sourires,
le reste de leur visage se confond
avec l'ocre des branchages
et l'obscurité...Nous nous lavons dans l'eau du torrent.. C'est le bonheur,
la plénitude...
Michèle Monneret
Mercredi 25 avril
Après une douce nuit bercée par le chant apaisant de la "Ranlung
Khola ", nous sommes, comme chaque matin, réveillés avec le thé
brûlant
et le sourire rafraîchissant de nos amis gurungs.
Comme chaque jour,
nous avons à notre disposition une bassine d’eau tiède, gentiment déposée
devant la tente.
Mais la toilette n’apparaît plus comme
une nécessité pour
beaucoup d’entre nous. Pendant que l’équipe de Sunar démonte, plie,
ficelle, et charge le matériel dans
les " dokos ",
nous
nous dirigeons, boiteux, pour la plupart, vers notre "salle à
manger", prêts à déguster un délicieux petit déjeuner.
L’étape d’aujourd’hui sera longue,
mais moins dure que celle d’hier,
dont
la descente vertigineuse est bien mémorisée par nos genoux endoloris..
L’attraction de la journée, pour certains, un jeu d’enfant, pour d’autres,
une véritable gageure : les ponts.
Le premier, à quelques mètres de
notre campement, préoccupe certains esprits depuis hier soir.
D’ailleurs,
afin de ne pas subir les balancements joyeux des plus aguerris, une première
équipe part avant tout le monde, certaine ainsi de passer tranquillement.
Dieu ! Que la terre est basse, et que l’appui est mouvant !
Chaque pas : une étape – Chaque planche : un but.
Des femmes
et des enfants, un doko chargé dans la dos, passent sans même
prêter attention à ce qui me tétanise ! Alex traverse en courant !
Il faut
y aller ! Regarder devant soi – Ne pas baisser
les yeux – Ne pas s’arrêter – Ne
pas se laisser distraire – " AAAAH !
Sunar ! Arrête de secouer ce pont ! " Le rire de Sunar
résonne dans l’air chaud et moite de ce début de journée.
Nous traversons un deuxième pont, puis
un troisième, prenant peu à peu
de l’assurance.
Nous marchons dans le lit caillouteux de la rivière, tantôt montant, tantôt
descendant. Il n’est que 8 h 30, mais déjà la chaleur
est pesante
et
alourdit notre pas. Le cœur, lui, est lourd depuis hier matin, quand nous avons
quitté Laprak. Nous croisons une caravane de mulets, chargés de sacs de riz et
nous nous rangeons respectueusementsur le côté pour la laisser passer. Plus
loin, un hameau nous apparaît comme une oasis dans le désert. Nous nous
attablons
à l’ombre d’un toit en feuillage,
et nous commandons, pour les
plus sages,
du coca, pour les plus fous,
de la San Miguel. Isabelle,
Annick et Michel sont interpellés par une jeune femme dont
le bébé est
blessé. Ils s’arrêtent
et pansent la plaie.
Nous atteignons à présent de vertes rizières aux nuances presque irréelles.
Un sentiment de sérénité et de douceur flotte dans la moiteur ambiante.
Quelques bananiers complètent ce tableau ravissant.
L’émotion de Laprak est revécue par certains qui rencontrent les parents
de
leurs filleuls revenant de Gorkha (déjà ! ), chargés de provisions.
Les derniers marcheurs arrivent aux environs de 13 h 30 à Argol, sous un ficus
géant, où le déjeuner les attend (salade, pommes de terre, haricots, fromage
et petite pomme juteuse ). C’est aussi à cet endroit que Christian rencontre
" l’homme
à la montre ", un villageois, qui lors d’un
précédent passage ( l’an dernier)
a demandé à Christian de lui rapporter
une montre, mais, qui, cette année
en possède une ! (Ce qui ne l’empêche
pas d’attendre la visite de " son ami ").
L’orage se prépare incontestablement. Nous reprenons la marche
et traversons
sept petits ponts en rondins, et encore deux grands métalliques suspendus
(de
quoi faire pâlir de jalousie les funambules !) avant d’arriver sous
une
pluie battante à Nimal, vers 17 h 30.
Certains courageux vont se laver
à la rivière, d’autres s’installent à la
buvette… mais tous finissent par se mettre à l’abri, vaincus par la pluie.
Alors que nous prenons le repas du soir, l’orage se déchaîne dehors.
Nous ne
sommes pas très rassurés. Mais concentrons-nous sur
le repas
qui est
succulent : Dal bhat, poulet, et légumes, et en dessert,
un délicieux
gâteau d’au revoir.
La dernière nuit sous la tente pourrait être récupératrice sans la présence
d’un volatile de malheur (sans doute
un maoïste) qui inlassablement répète
que " les fraises sont mûres " jusqu’au matin.
Cathy Moscato
26 avril
Ce matin, le temps est à la brume. Pendant que nous prenons notre copieux
petit déjeuner, l’équipe des porteurs dispatche les vêtements que nous
laissons en petits tas, pour préparer
la traditionnelle loterie de fin de trek.
Cette année, pas de chaussons roses, mais tous les gagnants sont contents
de
leur paquet. Après cela, Christian
et Alain distribuent les pourboires
soigneusement préparés suivant
les judicieux conseils de Sunar et Anup.
Puis, c’est le moment d’attaquer la montée vers Gorkha. L’argile rouge
et
souple sous nos pieds semble confortable, même si
la pente est raide.
Toutefois, nous allons très doucement, faisant de nombreux arrêts
( pour ce
qui est du groupe des lents, en tout cas ! ).
Un arrêt
" concombres " (qu’Anup nous offre gentiment ), un arrêt
chocolat! etc.
Nous faisons la connaissance du charmant Chandra (qui signifie lune ), le jeune
frère de Sunar, qui accompagne le groupe d’Isabelle Saccareau (Association
"Voiles sur le Népal "), que nous allons doubler allègrement.
Vers midi, nous arrivons aux portes de Gorkha. Annick n’en peut plus,
et,
comme pour se soulager, relâche considérablement son langage,
ce qui ne lui
ressemble pas ! Mais, p… ! ça fait du bien !
Après un déjeuner sympathique au soleil, nous effectuons la dernière petite
marche qui nous mène jusqu’au bus. Et nous voilà de retour à la
civilisation. Le bus démarre vers 14 h, après qu’une jeune et belle
népalaise se soit assise à côté de notre craquant Baruléa. Ce dernier
semble
un peu gêné
de sentir le randonneur auprès d’une si charmante
créature.
Mais, nous faisons tout pour le mettre
à l’aise en entonnant des
chansons de circonstance…
Vers 18 h, notre bus s’arrête dans
un bouchon occasionné par des grèves
contre le Premier Ministre en place, accusé de corruption.
Eh oui, au Népal
aussi…
Nous arrivons à l’hôtel aux alentours de 20 h 30, et après quelques
difficultés, chacun obtient sa chambre pour passer
sa dernière nuit
dans ce
pays fabuleux.
Cathy Moscato
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