Le groupe s’étire comme jamais. Notre retard est tel qu’on n’est
plus à 20 minutes près ; Claudine voudrait acheter des bracelets,
allons-y. Au premier magasin nous n’obtenons que des rires gênés de la part
de la marchande.
La deuxième nous fait les bracelets 20 roupies pièce.
On continue à cahoter sur les galets, chacun cherchant la voie la plus facile.
Mais qu’est ce ce truc rouge parterre ?
Un porte-monnaie !
Celui de Claudine ?
Eh oui, et avec tous ses sous. Grande joie quand
elle le retrouve.
Enfin nous arrivons au campement alors qu’un orage
se prépare. Les cuisiniers
se battent avec leur tente que le vent gonfle
un coup à droite, un coup
à
gauche, vers le haut… la tente salle
à manger flotte autour de ceux qui
essayent de la fixer puis s’écroule
sur eux et les bagages abrités à la
hâte.
Mais le calme s’installe finalement autours d’un bon repas tant et si
bien que nous nous couchons très tôt.
Hanne
Rencontre avec le yeti
C’est très tôt que tout le monde se lève,
Les montagnes enneigées non en grève,
Car la veille, emmitouflées dans leur manteau de brouillard,
En arrivant au col glacial nous n’avions pu les voir.
Le début de la marche du matin
Fut pris avec un grand entrain,
Car 2000 m de descente faits en courant,
Sur les marches du Népal, c’est plutôt marrant
C’est avec un repos suffisant,
Que nous attendons les autres :
les cuisiniers, Anup, Jocelyne,
Guillaume, les
Kanchhas et moi,
Les pieds dans l’eau de la rivière d’en bas.
Puis, après avoir bu le thé,
Le ventre bien tendu d’avoir mangé,
Nous avons du nous abriter chez l’épicier,
De grosses gouttes d’eau ayant l’intention de nous arroser !
Certes, les bâches bleues à quelques endroits étaient
trouées,
Mais nous étions bien heureux d’avoir un peu d’imperméabilité.
Puis, l’arrosage quasiment fini,
Une petite partie du groupe repartit.
Les supers ponts traversés,
Les rizières avec leurs femmes multicolores admirées,
Nous arrivons, les tentes à peine installées :
C’est là que le yeti a éternué.
Certains tiraient sur les fils de notre abri arrachés à l’extérieur
Comme des professionnels du catamaran,
Les autres soutenaient les poteaux dedans,
Là où il n’y avait plus que de rires que de frayeurs.
Puis cette lutte inutile contre ce monstre, nous abandonnons,
Abattant la grosse tente verte sur nos provisions.
Et ensuite le rhume du yeti terminé,
Le second groupe est alors arrivé.
Enfin le calme revenu,
Nous mangeons un bon menu.
Et après une courte veillée,
Tout le monde va se coucher.
Anaïs
9 Avril
Vers 07h30, nous
quittons notre campement de Dudeni, après une nuit passée dans
une atmosphère tiède
et humide. C’est la conséquence
des fortes pluies de
la veille au soir.
Nous longeons le cours de la Daraundi Khola en traversant les
villages implantés au milieu des rizières.
Nous y découvrons des scènes
bibliques. Les hommes labourant les rizières avec des petits bœufs noirs, réagissant
instantanément
à la voix de leur maître. Les femmes repiquant des plants de
riz et revêtues
de tissus
aux couleurs rouge vif ou rose Tirien qui s’harmonisent
à merveille
avec
le vert tendre de la végétation.
La vie dans ces villages nous semble calme et paisible, moins rude
qu’en terre
Gurung, sans doute à cause de
l’altitude moins élevée
et du climat plus clément.
Nous sommes surpris par
le nombre
de " petits commerces ", genre mercerie-épicerie,
que ces villages possèdent.
Des maître -tailleurs exercent leur profession à
l’aide de machines à coudre
à pédales qu’utilisaient autrefois nos
grands-mères.
Des pêcheurs réparent leurs filets pour la pêche dans la rivière toute
proche. Les femmes préparent les repas sur des fourneaux à bois, en terre
cuite, placés à l’extérieur
de leur maison.
Un système astucieux d’évacuation
des fumées est utilisé, grâce à un petit trou qui régule le tirage.
La première pause, face
et à l’ombre des bananiers est la bienvenue. Là, on
peut
se rendre compte de la valeur de l’eau
et de l’ombre. Comme toujours et
partout,
des pyramides d’enfants nous observent de la tête aux pieds en
scrutant nos moindres gestes.
Nous voici repartis, bâtons en main pour certains,
et nous prenons un peu d’altitude.
Nous surplombons ainsi les rizières.
Leur découpe nous fait penser à un
puzzle géant en camaïeu d’ombre
et de lumière. C’est magnifique.
Dans la traversée d’un village, nous avons l’heureuse surprise de revoir
avec
sa maman le jeune garçon, soigné
par Hélène à l’aller.
En sept jours, la guérison
a été fulgurante. La mère
a bien suivi les
recommandations du corps médical ! C’est pour notre douce infirmière un
très grand plaisir que de constater une telle amélioration.
Nous faisons halte dans un bistrot tout proche du lieu du déjeuner.
Des bières
et cocas sont offerts par la maison Jean-Paul d’Orléans !
Notre menu se compose d’une salade de carottes et de choux, petites saucisses
grillées et riz, beignets. Le tout arrosé de bière pour ceux
qui
le
désirent.
Nous retrouvons notre élément quotidien : la rocaille.
Le passage d’un
tracteur donne envie à Georgette et à Jocelyne de faire
du stop ! Je ne
sais pas si cela leur
a facilité la digestion !
La traversée
de petites forêts, où cohabitent des arbres aux essences et
feuillages différents, nous font penser (avec de l’imagination… !)
à
notre petit groupe. Nous y sommes tous bien différents par notre âge, notre
allure,
notre situation, notre métier, et pourtant si unis dans l’effort et
par notre objectif.
Vers 14heures 30, nous sommes au pied
de la tant redoutée montée vers Gorka.
Nous la connaissions pour l’avoir descendue à l’aller. L’ascension est
lente et éprouvante, chacun la fait à son rythme.
A mi-parcours, la pluie nous
surprend. Heureusement un bistrot
est
là pour nous abriter et nous rafraîchir.
Les plus courageux reprennent l’ascension, les autres restent en compagnie de
leur bouteille.
Presque arrivés au sommet, nous pouvons apercevoir nos tentes vertes, bien
alignées, et entendre les encouragements des premiers arrivés.
Le moral
reprend le dessus.
Le pas est moins lourd. Un farceur fait courir
le bruit que Christian
a continué seul sur Gorkha, n’ayant pas vu le bon chemin. Sunar,
inquiet, se lance à sa recherche, mais se rend bien vite compte de la
supercherie, malgré la collaboration active d’Anup dans cette
farce.
Après le goûter habituel, la relaxation et les commentaires habituels de l’étape,
nous nous dirigeons vers notre tente salle-à-manger.
Les porteurs sont là,
avec nous, sous le même toit de toile, serrés les uns contre les autres, car il pleut
dehors. Leur présence est
chaleureuse.
Leurs yeux brillent
de plaisir et les sourires nous laissent
découvrir des dents éclatantes.
Grâce à Anup qui traduit nos questions
et leurs réponses,
nous
en savons un peu plus sur leur vie en dehors des treks.
La plupart sont
cultivateurs et possèdent quelques lopins de terre.
Nous aimons leur
spontanéité à applaudir avec nous, lorsque nous
les félicitons pour leur
courage et leur collaboration. Ces porteurs méritent tout notre respect et
notre gratitude, car sans des hommes de cette trempe, aucun trek n’est
possible, donc aucune action
à Laprak, malgré
tous nos efforts.
Je pense qu’à l’avenir, nous devrions nous montrer
plus généreux dans le
calcul de leur salaire : ceci est notre point de vue personnel.
Après ces échanges, un repas réconfortant nous est servi
et qui se termine
par un magnifique gâteau d’anniversaire, énorme, épais
et bien coloré. Hélène
est née un 9 Avril
en Helvétie, à Schaffhouse,
pour notre plus grand bonheur. Après la dégustation, chacun donne
ses
réflexions,
ses impressions sur ce trek et ses suggestions pour pouvoir
financer
la construction ou l’extension de l’école
de Laprak.
Cathy se propose d’organiser
un loto dans le Haut-Doubs.
C’est un peu
le sport national et dominical du " plateau de
Maiche ", d’après elle.
Nos corps fatigués nous incitent à regagner
les tentes pour faire une bonne
nuit réparatrice.
Bernard
et Hélène
10 avril
J’ai oublié le jour de la semaine, d’ailleurs, ni le
moment ni l’endroit
ne se prête
à décortiquer ce sujet.
Aux aurores la voûte céleste aux milliers d’étoiles peuple encore mon
esprit lorsqu’une petite voix claire lance " bonjour… tea ".
Je réalise que le dernier réveil en bivouac vient nous extirper
de nos tentes
plantées en aval
de Gorkha. Nos visages ébouriffés se glissent dans
le
paysage, toisent l’horizon pour, encore une fois frotter le regard sur le
massif
de l’Everest.
Il fait doux et les enfants d’habitations voisines
déambulent déjà.
Sitôt le p’tit dèj’ avalé, les lots de vêtements,
que nous laissons,
sont distribués à toute l’équipe de Sunar. L’étoile
dans l’œil, chacun d’eux mérite nos applaudissements, et bien mieux que
cela.
Pour la dernière fois, Versailles et Trianon disparaissent du paysage.
Nos
semelles foulent les dernières marches stratifiées, nos pieds se heurtent aux
derniers sentiers rocailleux et argileux, nos regards s’agrippent
aux
habitants de cette contrée : eux si riches aux pieds nus, nous si vides
aux gros godillots. A l’entrée de la cité se dresse une échoppe stylisée, d’une beauté
touristique, une pause nous permet de retrouver San Miguel, ou
Coca, selon les
goûts. Chassant le coup de " blues " aux premiers passages
de pétrolettes polluantes et des coups de klaxons intempestifs, nous écumons l’avenue
à la recherche d’un régime de bananes
ou de soies chatoyantes. Ici, une
vache se délecte d’un tas de détritus, là-bas,
un cireur de chaussures n’en
finit pas de frotter.
Et bien sûr, nous ne pouvons éviter ce vieux bus coiffé de nos bagages
et
nous avalant pour mieux dévaler la vallée où
il se glisse à présent à coup
de " pouêt ! pouêt ! " incessants. Dans les
descentes chaotiques, il prend son élan, flirte avec
le vide, serre les courbes
à contresens, se jette entre deux camions au mm prés, met les gaz pour s’élancer
dans une montée.
De temps en temps des sons métalliques proviennent du dessous
de caisse ; dans ce contexte, pas de panique, tout va bien. Dans ce cas, il
demeure plus attrayant
de scruter les méandres de la rivière
qui dessinent la
vallée. De galets en rocailles, elle promène des NAMASTE
et des
SOURIRES
juvéniles.
Ici le panier accroché au filin d’acier permet le passage d’une rive à l’autre,
là-bas une petite plage de sable gris argent nous appelle.
Dans l’étroit
couloir du bus, Jocelyne
se déhanche au rythme d’un
" tube " népalais, trompant notre angoisse lorsqu’un
éboulement entrave notre route.
Un petit creux, dans un méandre de
rivière, un
emplacement ombragé
et
le déjeuner est savouré avant d’aller
se tremper les pieds dans quelques
centimètres d’eau.
Guillaume, plus téméraire, enfile son maillot et se
lance dans une eau chargée
de limons. Tous profitent encore de ces quelques
moments paisibles pour échanger impressions, regrets, projets, illusions,
adresses et téléphones, ou simplement se détendre avant le saut dans
la cohue
citadine.
Nous poursuivons notre route, toujours aussi chaotique. Des adolescents
profitent de ralentissements ou d’arrêts intempestifs
pour nous assaillir à
coup de concombres, ou de papayes tronçonnés. – Bientôt
un halo de brume
nous laisse deviner Katmandu à proximité. Effectivement,
des maisons
inachevées se succèdent,
des baraquements accolés les uns aux autres nous
laissent penser aux échoppes en quête
de clients. A l’entrée de l’agglomération,
les porteurs achèvent
leur parcours en notre compagnie. Ils nous saluent
chaleureusement. Notre équipée népalaise s’effiloche insensiblement.
Plus
le temps se déroule,
plus nous nous sentons fragiles à cette séparation.
A notre arrivée à l’hôtel, nos sacs semblent désolés dans le grand hall.
Surmontant les émotions,
le sourire
aux dents, nous nous glissons dans nos
chambres vers une douche qui nous lave de cette poussière jaune qui sent bon Laprak.
Après tant de pas empressés, lourds, légers, gracieux, rageurs, et même
désespérés, nous nous sentons un peu ridicules dans ce grand hôtel
où le
dîner sera servi sans tambours ni trompettes.
La nuit aura peut-être un goût
nostalgique mais Durbar Square by night reste un lieu magique qui ranime nos
rêves.
Georgette
11 avril
Avertissement : en ce qui concerne
les détails
précis de la visite touristique officielle, vous êtes priés de vous référer
aux nombreux guides édités.
Je n’ai pas
la prétention de les remplacer. Je
vous ferai uniquement part ici de mes souvenirs, impressions, commentaires
personnels.
Je décline toute responsabilité dans le cas où quelqu’un se perdrait dans
les dédales
de Baktapur, Bodnath, Pashupatinath,
les trois sites que
nous avons
(je crois) visités, en voulant suivre mes indications.
Après une nuit d’enfer dans des
draps propres, avec une peau décapée,
des cheveux soyeux, l’aube pointe son
nez lumineux au-dessus de l’Hôtel Harati
de Katmandou.
Oubliée l’arrivée tonitruante dans la capitale népalaise s’ébrouant
frénétiquement dans
la poussière et la pollution colorée, fondues dans la
nuit les courbatures
de l’interminable descente finale, enfuie
la trouille
bleue dans le bus slalomant
à grands coups de volant
et de klaxons.
Il est 7h50. Tout le monde est pimpant autour d’un petit déjeuner copieux.
On
ne se reconnaît plus, tellement on est beau.
Les femmes balayent l’assemblée
de leurs tendres yeux maquillés.
Les hommes sentent bon le sable chaud de leur
lotion après-rasage.
On est prêt
à affronter les rues et les palais
de Katmandou,
se confronter aux singes
et aux autres touristes, s’émerveiller devant ces
beautés tant vantées.
Pendant ce temps, Christian, Alain, Sunar,
Anup, Suk
se coltineront une réunion :
vérification des comptes de l’Association
avec le " Comité des
Amis de Laprak "… Ils devaient être huit. Mais Christian nous
avoua le soir que …personne ne se présenta. Il fut très étonné
et encore
plus déçu. Le travail se fit sans eux.
8 heures : on s’agite
dans le hall. Un petit bonhomme à moustache,
coiffé d’un topi clair,
d’un ensemble veste longue pantalon assortis nous
attend :
c’est notre guide Taka. Tenue très correcte,
sourire impeccable.
On retrouve le chauffeur de bus de l’aller à Gorkha ,
que l’on avait apprécié pour sa douceur dans la manipulation du volant et
du
klaxon, comparée
à celle ,complètement échevelée de celui du retour.
Nous voilà partis,
13 touristes impatients qui cahotent dans le bus (moins Cathy
qui se la joue solo parce qu’elle connaît déjà la visite alors elle
en
profite pour faire des tonnes de courses).
La circulation est beaucoup plus
fluide que hier soir. Notre guide nous dit que c’est toujours comme ça. Comme la
nature ici finalement : le matin tout est calme,
le soleil brille, puis vers le
milieu de l'après-midi ça commence
à se gâter, le vent se lève, les arbres
s’agitent, les gens aussi, l’orage gronde, le trafic de voitures s’affole…On passe au-dessus de la rivière Bisnumati.
On croise de
magnifiques camions très décorés (les " tata " marque
BMW)
Les panneaux publicitaires Coca Cola sont omniprésents,
dans
les rues, devant
les vitrines, symboles de l’envahissement croissant
de l’Amérique,
phénomène qui rend " fous furieux " les Maoïstes très actifs ici. D’ailleurs une
usine du même nom fut détruite l’année précédente. |
Discussions avec le guide. Claudine, toujours
intarissable, pose
des questions, je surenchère. Le guide est très complaisant
et répond
avec grâce.
On aborde des sujets très variés,
en particulier celui
de la drogue. Taka nous dit que la période des hippies est
résolument révolue, la vente de cannabis, que l’on trouve pourtant très
très facilement dans la campagne, en principe réglementée.
C’est à cette occasion
que notre guide nous expliqua ce
que veut dire exactement " Baba Cool "
Au départ
le
" Baba Cool " était un yogi, c’est-à-dire un ascète en
quête
de Nirvana. Il fumait un peu la Marijuana pour ses effets d’inhibiteur
sexuel et cultiver un état " zen " (De même les sorciers
indiens en Amérique fumaient le peyolt pour entrer en transe et en
communication
avec les esprits ainsi que le célèbre ethnologue Castaneda nous
le rapporte dans ses œuvres passionnantes)
Baba au départ voulait dire en Inde
" qui quitte leur maison pour se
consacrer
à la religion ", cool a gardé son sens
de
" zen "… Mais les hippies débarquant
à Katmandou dans
les années 70 tentèrent d’utiliser cette drogue à des fins plus ou moins
louables.
La perversion du principe initial s’installa. Le mot Baba Cool s’est
déformé
et a perdu sa signification initiale.
(Christian si je dis des bêtises,
tu corriges, OK ?)
Nous commençons la visite par Bodnath, quartier religieux où nous
pourrons admirer un superbe Stupa. On croise un énorme Bouddha
coloré. Notre guide nous dit en riant qu’aujourd’hui Bouddha
est très
à la mode et que ça rapporte bien.
Les Américains adorent ça.(et pas seulement eux, de toute évidence)
A peine arrivés sur le site nous
sommes harcelés par les vendeurs à la criée, enfants de tous âges, filles
comme
les garçons, qui veulent nous fourguer
des objets de rituels religieux,
des colliers, des statuettes… Il faut marchander et
je me surprendrai
grandement à finalement entrer dans le jeu et prendre du plaisir
à faire
baisser les prix. Je ne me serais jamais cru capable de ce genre
de commerce…
Mais ça fait partie du voyage.
On croise des moines drapés de rouge
et de jaune. Notre guide nous apprend
que
des filles peuvent aussi être moine
car la tradition veut que le deuxième
enfant de chaque famille
se consacre pendant au moins un an aux études
bouddhistes en faisant
une retraite dans un monastère. Ce peut donc être une
femme. Ensuite
ils décident ou non
de continuer dans cette voie.
Nous en visitons un sur une place où des stèles jonchent le sol en mémoire de
certains morts. Des singes en liberté font des galipettes sur le nez
des Bouddhas
et narguent les passants. De nombreuses boutiques attirent nos regards, masques,
objets insolites, des trucs et des machins attrape-touristes qui doivent faire
des cadeaux. Mais pas le temps. On est là pour s’instruire et non pas pour se
ruiner. Après avoir fait tourner les moulins
à prière dans le bon sens en priant
les Dieux d’exaucer tous nos vœux même ceux qu’on n’a pas faits, un gong
prolongé et profond appelle à la prière dans le temple adjacent à la place. On
s’y précipite en quête d’exotisme
et d’insolite. Un chant sonore de trompettes
alternant avec un chœur masculin très vibrant nous incite subitement au
recueillement malgré quelques agitations pour tenter d’apercevoir sur le pas de
la porte les moines en prière. C’est comme dans les films : "Little Bouddha", "7
ans
au Tibet", "Kundun".
Les sonorités graves pour les voix, percutantes
pour les trompettes,
la danse
cuivrée des notes sortant
de cette espèce d’immense cymbale,
les rythmes
lancinants, les balancements imperceptibles des moines méditants, tout cela
résonne dans cet espace coloré
et dans mon ventre, et m’emplit d’une
étrange émotion, de celle qui passe quand je rencontre un monde totalement
étranger à mes habitudes.
Ce rituel est suivi jusqu’à midi, moment de pause
pour
le repas,
puis les moines reprennent leur activité à 13 heures jusqu’à
17 heures.
Et ce, pendant plusieurs jours de la semaine.
On peut dire qu’ils
se consacrent à la prière, non ?
Petite pause pour nous aussi, mais consacrée à l’achat de pellicules photo,
eau, babioles…
Nous sautons à nouveau dans le bus après avoir réussi à distancer
les
vendeurs.
Il est 11 heures. Nous nous dirigeons vers BHAKTAPUR (traduction =
la ville des dévots), lieu le plus visité de la vallée
de Katmandou.
Nous passons devant le temple bouddhique
de Swayambhunath qui veut
dire " le Dieu qui est sorti tout seul ", Stupa
le plus
vieux du Népal. Il a été édifié il y a 2000 ans à l’époque
où la vallée de Katmandou était occupée par un lac.
A cet
endroit brûlait une flamme que l’Empereur de l’époque identifia comme
un
Dieu qui sortait de la terre… (voir le guide pour la suite qui est longue mais
fort intéressante, ou se rendre sur place !)On nous apprend aussi qu’il existe 3 sortes de temples de trois styles
différents (ogive, pagode
et stupa)
Ce qui est intéressant à savoir c’est qu’ici, l’Hindouisme
et le Bouddhisme se mêlent harmonieusement, chacun pouvant aller
prier dans le temple de l’autre.
Les drapeaux de prières flottent dans
le
vent, purifiant l’atmosphère et envoyant au ciel toutes les prières
et
bonnes intentions pour le bonheur futur
des croyants.
Suit une explication sur
le Nirvana, notion très souvent réduite à sa portion congrue
par des Occidentaux pressés d’atteindre un bonheur facile.
Mais
les religions bouddhiste et hindouiste sont très complexes
et très
élaborées.
Un soir Anup, notre " sherpa
culturel " nous avait entretenus avec inspiration de l’ésotérisme
et ses méandres inaccessibles. Christian nous ayant avoué qu’il
étudie
ces religions depuis 10 ans déjà
et qu’il est encore loin de tout
comprendre et savoir, j’en ai conclu qu’il était préférable pour mon
petit cerveau lent de laisser cette connaissance à plus initié que moi. Mais
je suis néanmoins très frustrée d’être tenue définitivement à l’écart
des grands secrets de la vie.
Un mot quand même sur le visage de Bouddha sur le Stupa, image
qui a fait le tour du monde et du temps : les deux yeux bleus qui vous
suivent partout (tel l’œil de Dieu qui harcèle notre affreux Caïn, jusque
dans la tombe)
le nez, en forme de point d’interrogation (en fait c’est le
chiffre 1 en calligraphie népalaise) le troisième œil
au-dessus des yeux et
…
pas de " bousse " (c’est ainsi que notre guide
prononçait d’une façon
si charmante le mot " bouche "
avec un cheveu sur la langue) Donc notre Bouddha est représenté
ainsi parce qu’il voit tout, il sait tout mais il ne dit rien, car c’est à
chacun de comprendre le monde
à sa façon. Belle leçon
de liberté et de
tolérance.
J’ai beaucoup aimé aussi ce principe de la religion Bouddhiste et qui est
symbolisé par une main dont le pouce est tourné vers le ciel, l’index
pointé vers l’avant, et les trois autres doigts tournés vers soi-même..
En
voici l’interprétation livrée à notre réflexion par notre guide,
avec son
accent incomparable : il ne faut pas montrer
les autres du doigt (c’est-à-dire
ne pas juger les autres) parce si un doigt
est pointé vers l’autre 3 sont
pointés vers soi-même, et ainsi nous serons jugés nous-même trois fois.
Alors pas de Paradis (pouce tourné vers le ciel)…Il ressemble fort à la
parabole de la paille et de la poutre de notre Bible
"Plutôt que de
montrer la paille qui est dans l’œil de ton voisin tu ferais mieux de t’occuper
de la poutre qui est dans le tien " Autre rapprochement possible avec
notre religion chrétienne : " Ne juge pas si tu ne veux pas
être jugé " ou " Tu seras jugé à l’aune de ton
jugement des autres
" etc… Encore un magnifique rappel de la notion d’humilité,
indulgence, respect de l’autre …Bien sûr reste à savoir si dans la réalité
quotidienne
ces préceptes s’appliquent spontanément
ou s’ils restent " lettres
mortes "
Durbar Squar, la place la plus importante de Bhaktapur.
Impossible
de traverser ces lieux sacrés sans que soient évoqués les
3
Dieux principaux de l’Hindouïsme: Brahma le
créateur, Vishnu le nourricier, Shiva le
destructeur. Les temples sont consacrés aux deux derniers, Brahma
n’en ayant pas.
Pour plus de renseignements sur l’histoire des Dieux
qui est vraiment passionnante mettre le nez dans les livres concernés.
Ca vaut
le détour. Ou alors téléphoner à Christian qui commence malgré
ses
dires à en savoir beaucoup.En bons touristes bien guidés
nous tournerons, dubitatifs,
admiratifs ou franchement rigolards autour
de plusieurs temples fameux :
Temple des éléphants érotiques référence
au Kama-sutra qui
fait haleter certains occidentaux mais la plupart du temps ceux-ci n’ont
strictement rien compris à la philosophie Hindouiste et s’en balancent d’autant
(pour ne rien vous cacher j’ai préféré
les masques hauts en couleurs de la
boutique d’en face…désolée de vous décevoir)
Statue
de Kali, la femme
de Shiva qui a plus de 18
bras (une déesse guerrière
en somme ?) sculptée dans un seul bloc de
pierre (comme certains
de nos antiques artistes, celui qui réalisa cette œuvre
magnifique se vit " récompensé " par la perte de ses mains
qui furent coupées afin qu’il
ne reproduise pas ailleurs cette
merveille ! C’est ce qu’on appelle une œuvre unique !)
Temple de Siddhi Lakshmi dont les marches de pierres sont
flanquées de sculptures d’animaux de toute sorte.
Temple de Shiva remarquable pour ses nombreuses sculptures érotiques (again !)
A ce propos notre guide nous explique le pot aux roses. A l’époque où les
religions Hindouistes et Bouddhistes ont commencé
à prendre un essor irrépressible (c’était
en …heu…il y a longtemps) le
souverain
de l’époque commença
à être inquiet pour la survie de son pays.
En effet, une des bases de leurs pratiques est de chercher
à supprimer tous les
désirs, principale origine
de la souffrance, pour pouvoir atteindre le Paradis,
voire plus tard,
le Nirvana. Seulement si tout le monde devient
chaste, se disait ce futé souverain, qui va faire des enfants ?
Qui va
perpétrer notre peuple ? Il y a péril en la demeure. Alors il imagina
de
faire sculpter ces figures en positions très évocatrices sur les murs
des
temples pour donner des idées (on pourrait même aller jusqu’à dire
des
envies) aux pratiquants qui venaient y méditer quotidiennement.
Ainsi, rentrant
chez eux après l’office,
ils auraient envie de faire l’amour,
et alors d’autres
bébés pourraient naître.
Le royaume serait ainsi sauvé…. Parole de guide.
Le palais de Kumari où il est interdit de prendre des photos.
Quand nous sommes arrivés, deux chèvres transies
et blotties
dans un recoin de
la cour intérieur bêlaient à fendre l’âme.
Elles étaient prêtes pour le
sacrifice.
Cette pratique sanglante existe depuis longtemps, elle a heureusement
évolué.
Ici on ne sacrifie plus des humains depuis seulement...150 ans. Le
statut de la femme a aussi évolué. Autrefois quand
un homme mourait, sa femme
devait …se jeter sur son bûcher,
toute vivante… Glups. Maintenant elle se
contente de porter le deuil jusqu’à la fin de sa vie et
je crois même qu’elle
ne peut plus se marier ou doit épouser le frère. Une Kumari est une déesse vivante. Il y a 3 Kumaris
dans la vallée de Katmandou. Une Kumari est une femme qui est
née
dans une famille Bouddhiste Newar mais
qui devient une Déesse Hindoue. C’est
le deuxième enfant de la famille.
Elle se consacre au temple
jusqu’à ce qu’elle
ait ses premières règles. Alors " elle est virée du
temple " (parole de guide) Cette règle est plus ou moins
stricte actuellement selon les lieux (pour plus de renseignements voir
Christian qui a lu un bouquin là-dessus, je l’ai vu dans l’avion !)
Quelque part plus loin, la salle de bain
(un bassin verdâtre
actuellement) où le Roi venait batifoler avec ses …55 femmes. Bonjour l’ambiance !
Une autre place : Taumadhi Tole, un autre temple : Nyatapola,
celui qui fait 30m
de haut, le plus élevé de la vallée,
qui a résisté au
tremblement de terre de 1934 les fondations étant
très profondes (30 m aussi)
L’escalier est flanqué de sculptures en pierre dont les célèbres lions. On
peut entendre des petites cloches suspendues
le long des linteaux tinter sous le
vent. C’est là que le film
" Little Bouddha " a
été tourné.
Les estomacs commencent à chanter.
Le vent se lève, la poussière tourbillonne
dans les rues où les passants commencent à s’agiter aussi. On croise des
porteurs
de légumes avec leur fléau en équilibre sur les épaules, des
" vélos boutique " chargés de fruits
et de
légumes, Bhaktapur étant
le coin où ces denrées sont les meilleures, d’autres
vendeurs assis à même le sol épluchent des carottes
avec une serpe. Nous
traversons des rues très colorées.
Le dépaysement est enchanteur, malgré
la
dominante de pauvreté. Mais pour
un touriste, voyant les choses de l’extérieur,
même la pauvreté peut prendre un accent pittoresque.
Il est 12H30. On prend quand même
le temps d’aller admirer
le quartier
des artisans du bois qui travaillent cette matière avec un art délicat, on
aura même le loisir d’entrer dans un atelier et faire quelques achats (j’y
trouverai un petit Ganesh malicieux qui me fait des clins d’œil dans notre
salon maintenant, Bernard
et Hélène emporteront d’autres
pièces non moins magnifiques) le quartier des potiers où l’un d’eux n’accepte
de faire une démonstration que si on le paye.
Le repas de midi aura lieu sur une terrasse surélevée dominant la place.
Superbe.
On nous sert le Dal bhaat traditionnel. Good ! J’en profite pour
oublier mon étui d’appareil photo …qui me sera gracieusement rendu
à l’aéroport
par
des français qui mangeaient au même restaurant.
Pour la digestion, et tandis que le ciel s’assombrit de plus en plus, nous
irons " voyeuriser " une crémation à Pashupatinath
(5 km de Bhaktapur)
Un barrage oblige encore une fois le car
à
stopper. Contrôle des Népalais, présence des Maoïstes sur le territoire
oblige.
En fait, les " flics " ( ?)
se contentent
de
faire descendre tous les Népalais
du car. Celui-ci poursuit sa route avec
les
touristes un peu inquiets et s’arrête un peu plus loin.
Là les passagers
" suspects " remontent à bord sans avoir été pour
le
moins du monde contrôlés. Bizarre.
A l’arrivée au site nous n’échappons pas
au harcèlement des vendeurs.
Ils
n’hésiteront pas au retour à grimper dans le bus et s’accrocher à nos
basques (la plupart parlent Français-Anglais)
Nous voici au Temple de Pashupatinath l’un des principaux
temples de Shiva. Shiva,
le Dieu destructeur peut se
manifester de différentes manières, plus ou moins terrifiantes. Sa
manifestation sous l’apparence
de Pashupati ( le maître du
troupeau) est plus pacifique, il est sensé veillé sur le royaume du Népal.
Les berges de la Bagmati sont destinées
à la crémation des
morts.
Lieu impressionnant, où le décalage avec nos croyances et nos pratiques
occidentales et chrétiennes est maximum. Ici, la mort
a un sens complètement
différent de celui de notre civilisation.
La mort fait vraiment partie de la
vie. On meurt simplement,
sur les berges de ce fleuve dans les meilleurs cas, en
sachant qu’on va se réincarner
dans une autre existence.
La mort n’est ni
cachée ni effrayante comme sous nos cieux aseptisés.
La crémation n’est pas
le seul rite funéraire.
On peut aussi plus rarement enterrer, ou plus crûment
dans les hautes montagnes très froides livrer aux vautours, oiseaux sacrés, le
corps du mort coupé en morceaux, parce que là, il n’y a pas de bois pour
faire le feu,
et la terre est trop dure à creuser.
Nous assistons à deux crémations, du haut de la colline d’en face, une dans
la zone consacrée aux riches, l’autre aux pauvres. Mais le principe
est le
même. Le mort, enveloppé dans un voile de couleur vive est déposé sur la
base du bûcher.
C’est en principe le fils (les femmes n’assistant pas aux
funérailles) qui porte
la responsabilité de la cérémonie. Torse nu, les
hanches ceintes d’un voile blanc,
il fait traditionnellement trois fois le
tour du bûcher avec une torche allumée, puis embrase la bouche du mort sur
lequel on a rajouté du bois, puis place la torche sous le bûcher. Alors une
odeur très particulière envahit l’atmosphère. Et je pense subitement à d’autres
corps qui ont brûlé quelque part dans notre très sombre histoire et je ressens
un malaise sourd. Pourtant strictement rien de comparable, mais j’ai du mal à
intégrer l’odeur. Le corps est loin, mais l’odeur touche mes narines. Touche mon
esprit. Touche ma mémoire, et je suis un peu désemparée.
Les commentaires
de certains vont bon train tandis que d’autres se sentent
le
cœur soulevé
et que la plupart sortent leur appareil photo après avoir reçu
l’autorisation de notre guide.
Le ciel est très noir. La pluie commence
à tomber.
Je
ressens un certain malaise…
Nous terminons la visite sous la pluie.
Lili et moi courons nous
acheter un " pébroc " pendant que les autres galopent
autour d’un ultime Stupa..17 heures. Le bus nous ramène à l’hôtel. Vite, dans nos chambres pour
nous faire belles et beaux, ce soir on sort,
et c’est
la dernière fois. Mais
notre gaîté est ternie par la tristesse soudaine d’Hélène
qui vient d’apprendre que son père les a quittés pour toujours. Nous sommes
soudain tout tristes nous aussi. Mais la belle convivialité
qui règne dans le
groupe semble soutenir notre généreuse infirmière
qui passe quand même la
soirée avec nous.
Le repas s’annonce très arrosé, avec whisky, vodka, proposés… dans des
bouteilles…Ca commence
à chauffer sérieux, mais tout le monde tient bien
" le choc " Le repas
est excellent comme d’habitude.
Quelques heures plus tard nous regagnons nos chambres sans même tituber, tandis
que trois incorruptibles
(dont je tairai le nom) continueront
la soirée par un Katmandou
by night dont ils rentreront bien tard (ou tôt). Bonne nuit.
Demain c’est le
grand retour…
Jocelyne
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